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Guerre commerciale : Trump menace la Chine et relance le suspense

Alors qu’un accord avec Pékin semblait proche, le président américain renfile sa tunique de « Monsieur Droits de douanes ». Un regain d’agressivité qui constitue surtout un geste de politique intérieure.
Tribune publiée dans L’OBS, le 7 mai 2019
Par Jean-François Boittin
 Billet du 17 mai 2019


Après plusieurs mois d’allers et retours entre les deux capitales des négociateurs américains et chinois, les observateurs annonçaient avec une belle unanimité que la venue d’une forte délégation chinoise – une centaine de membres – cette semaine à Washington allait être l’étape finale où seraient réglés les derniers détails avant signature en grande pompe de l’accord par les présidents Xi et Trump. La lumière au bout du tunnel en quelque sorte.

Dimanche, il s’est avéré que la lumière était celle des feux de la locomotive Donald Trump arrivant à contresens à vive allure. Le président des États-Unis, affirmant que la partie adverse revenait sur ses engagements, menace de porter à 25 % les droits sur les 200 milliards de dollars d’importations en provenance de Chine frappés aujourd’hui de droits de 10 %, dès vendredi 10 mai, et s’est dit prêt à frapper de droits supplémentaires de 25 % les 325 milliards de dollars d’exportations chinoises restant.

Il affirme que les droits en place aujourd’hui sont payés par la Chine (alors qu’ils sont évidemment à la charge des importateurs américains) et qu’ils contribuent à la bonne santé économique américaine, ce qui est discutable : les entreprises qui utilisent dans leur chaîne d’approvisionnement globale des composants chinois doivent assumer le coût supplémentaire des droits, et réduire d’autant leurs marges, ou augmenter leurs prix et faire passer ce coût aux consommateurs.

Un arbitrage en faveur des « faucons »

Il est certain, en revanche, que la bonne santé de l’économie américaine joue en faveur d’une stratégie agressive. Le taux de croissance de 3,2 % sur le premier trimestre, les très bons chiffres de l’emploi du mois d’avril et un taux de chômage en baisse à 3,6 % (du jamais vu depuis 1969) donnent une impression d’invulnérabilité qui ne peut qu’inciter à prendre des risques.

Quand bien même les observateurs s’interrogent sur les motifs de l’intervention présidentielle, ils n’ont rien de bien mystérieux.

C’est un arbitrage rendu en faveur des « faucons » à l’encontre de la Chine, le conseiller à la Maison Blanche Peter Navarro et l’USTR [représentant au commerce américain] Robert Lighthizer, et un démenti aux « colombes », le secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin. Ce dernier est un habitué de l’exercice en quelque sorte : il avait annoncé une trêve quelques jours avant l’imposition d’une première tranche de droits de 25 % sur 50 milliards de dollars d’exportations chinoises.

Une attaque indirecte contre Joe Biden

C’est surtout un geste de politique interne en faveur des syndicats et une attaque indirecte contre l’ancien vice-président Joe Biden, qui s’est envolé dans les sondages des candidats et candidates démocrates [pour l’investiture du parti] à la présidentielle de 2020. Le président Trump s’est indigné la semaine dernière de voir un syndicat (des sapeurs-pompiers !) se déclarer en faveur du candidat Biden, dès même son annonce. Il perçoit le danger d’une mobilisation en faveur de « Joe » des « cols-bleus » industriels qui ont permis sa victoire en 2016 en faisant basculer des États du Midwest.

Dans le même temps, le leader de l’AFL-CIO [la plus grande fédération américaine de syndicats], Richard Trumka, dénonçait le risque qu’un accord précipité avec la Chine n’impose pas au pays des disciplines suffisantes, en particulier en matière de subventions. Et le candidat Biden, déjà fortement soupçonné de « globalisme », commettait l’erreur de minimiser le risque de la concurrence chinoise. Une conjonction parfaite pour remettre les pendules à l’heure, et revêtir la tunique de « Monsieur Droits de douanes » (« Tariff Man ») qu’affectionne le président.

De quoi rivaliser avec « Game of Thrones »

Deux tweets, et une conférence de presse de l’USTR, confirmant lundi l’augmentation à 25 % des droits sur les 200 milliards de dollars de produits chinois vont transformer une négociation bien banale (Combien de milliards de dollars la Chine promet-elle d’acheter ? Quels engagements – moyens – de protection de la propriété intellectuelle prend-elle ? Quelles promesses – minimes – sur ses programmes de subventions ?) et créer un suspense qui rivalisera avec la dernière saison de « Game of Thrones ».

Que va faire le président Xi Jinping : accepter de négocier le pistolet sur la tempe ou voir la croissance chinoise repartir à la baisse ? Et côté américain : de combien va baisser Wall Street, un des baromètres préférés du président Trump, qui est toujours parti à la baisse dans les moments de tension commerciale ? Comment vont réagir les agriculteurs américains, pour qui la saison des semailles approche et pour qui la fermeture du marché chinois est une catastrophe ?

Le président l’avait annoncé dans son discours d’investiture de candidat et il a tenu parole : « lui seul » est capable de générer autant d’intérêt sur un sujet aussi technique. La suite au prochain tweet…


Article original paru sur le site de L’OBS

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