Le blog du CEPII

Disparités régionales et solidarité budgétaire : leçons d'Allemagne

La solidarité fiscale en Allemagne a permis aux Länder de l'Est d'amorcer leur rattrapage. Le mécanisme de péréquation financière risque d'être remis en question à moyen terme. Le débat sur son fonctionnement ainsi que sur ses impacts fait écho aux controverses sur la solidarité fiscale entre les pays membres de l'Union européenne.
Par Laurence Nayman
 Billet du 29 mai 2012


Les cinq Etats de l’Est de l’Allemagne (Brandenburg, Mecklenburg-Vorpommern, Sachsen, Sachsen-Anhalt, Thüringen), intégrés à l’Allemagne en octobre 1990, ont bénéficié d’importants transferts pour accélérer leur rattrapage : environ 1 300 milliards d’euros de 1991 à 2003, soit environ 5 % de leur PIB. Vingt ans plus tard, la convergence attendue des nouveaux Länder n’est pas achevée, que ce soit en termes de productivité (trois quarts seulement de celle des Etats de l’Ouest), de prix, d’innovation ou d’exportations. Ces Etats se retrouvent sur-dotés en capital mais dépourvus de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire. La poursuite de leur rattrapage réclame encore des ressources financières importantes.
 
La « règle d’or » allemande, qui a été inscrite en 2009 dans la loi fondamentale [1], interdit tout déficit budgétaire structurel aux Länder à partir de 2020 [2]. Leurs dépenses devront alors être intégralement couvertes par leurs ressources. En 2008, les recettes totales des nouveaux Länder représentaient 104% de leurs dépenses. Mais cette situation enviable résultait de la solidarité budgétaire : sans elle, leurs recettes fiscales n’auraient couvert que 55,4% de leurs dépenses, contre 75,2% en moyenne pour l’ensemble des 16 Länder. Les nouveaux Länder ne s’en sortent que grâce au système de péréquation financière entre Etats, complété par l’Etat fédéral ainsi que par les fonds européens. Ainsi, en 2010, les nouveaux Etats ont vu leurs recettes budgétaires augmenter de 31 964 millions d’euros à 34 587 millions grâce à la péréquation entre Etats puis à 43 996 millions grâce au concours de l’Etat fédéral.
 
Fonctionnement du mécanisme de solidarité budgétaire en Allemagne
 
Chaque niveau de gouvernement dispose :
- de recettes fiscales propres,
- d’une part des recettes « communautaires » : impôt sur les revenus (IR), impôt sur les sociétés (IS) et TVA. Elles sont réparties entre l’Etat fédéral et les Länder selon une règle de partage fixée par la loi.
- Répartition entre les Länder des recettes provenant de l’IR et de l’IS :
1. IR : selon le lieu de résidence des assujettis,
2. IS : selon le lieu de domiciliation des établissements.
- TVA (plus de 25% des ressources communautaires) :
1. les trois quarts sont affectées proportionnellement au nombre d’habitants de chaque Etat.
2. Le quart restant (péréquation de la TVA) sert à rapprocher les revenus fiscaux des Etats et communes (différence entre la répartition fixée par la loi et celle faite selon le nombre d’habitants).
 
La péréquation horizontale entre les Etats consiste en transferts des Etats contributeurs aux Etats bénéficiaires afin d’assurer aux Etats les plus pauvres une capacité financière d’au moins 90% des ressources fiscales théoriques du Land qui aurait été les siennes s’il avait reçu les recettes fiscales proportionnelles à son nombre d’habitants. Si la capacité financière de l’Etat dépasse la capacité financière théorique, il est contributeur. En cas inverse, l’Etat est bénéficiaire. La péréquation ne change pas la hiérarchie des Etats concernant leur capacité financière. Les communes sont un niveau imbriqué dans le mécanisme de péréquation. Les trois villes-Etats (Berlin, Hamburg et Bremen) ont un coefficient de population augmenté de 35%, le Mecklenburg-Vorpommern de 5%, le Brandenburg de 3% et Sachsen-Anhalt de 2%.
 
Le budget fédéral contribue aussi directement au mécanisme pour compléter la péréquation qui est itérative. En outre, il accorde des subventions pour couvrir des situations exceptionnelles ou spéciales.
 
Les mesures supplémentaires concernent l’amélioration des infrastructures à l’Est (pacte solidarité II en partie financé par un surcoût de l’impôt sur le revenu de 5,5% pour les revenus élevés) pour un montant de 105 milliards d’euros de 2005 à 2019, la lutte contre le chômage pour 1 milliard par an et l’aide liée aux charges administratives pour 517 millions d’euros par an.
 
Ce mécanisme de solidarité vise à donner à chaque Etat la capacité financière nécessaire au rapprochement des conditions de vie sur tout le territoire allemand. Le système a été reconduit de 2005 jusqu’en 2019. Après cette date, soit une nouvelle loi révisera les conditions de son fonctionnement, soit le système sera abandonné. Cette dernière éventualité ne peut être totalement écartée.
 
Les tensions apparaissent de plus en plus fortes. Les mesures budgétaires supplémentaires à destination des nouveaux Etats ne cessent de baisser depuis 2005 (-14% en 5 ans). Le rattrapage de l’Allemagne de l’Est n’est plus la seule priorité structurelle de l’Etat fédéral qui a défini des objectifs ambitieux dans les domaines de l’éducation et des énergies renouvelables et a décidé différentes mesures pour faire face au vieillissement de la population. De plus, les Etats est allemands cesseront de recevoir des fonds de transition du FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) à partir de 2013 et les fonds structurels européens seront moins généreux sur la période 2014 à 2020. Quant aux Länder de l’Ouest, qui devront relever leurs taux d’investissement relativement faibles ces dernières années, ils seront de plus en plus réticents à voir leurs capacités de financement amputées par le système de péréquation.
 
Si le mécanisme de solidarité budgétaire disparaît à l’horizon 2019/2020, les Länder ne pourront compter que sur la croissance et donc sur leurs réserves budgétaires pour augmenter leurs dépenses structurelles. Que se passera-t-il alors si les Etats de l’Est n’ont pas achevé leur rattrapage ? L’Etat fédéral devra-t-il intervenir directement, comme le FESF vis-à-vis des pays en difficulté en Europe ?
 


[1] En 2009, le principe de budget équilibré (règle d’or) est inscrit dans la loi fondamentale. Ce principe s’applique pour les Länder à partir de 2020 et l’Etat fédéral à partir de 2016. Néanmoins, un endettement structurel à hauteur de 0,35% du PIB est autorisé au niveau fédéral. Au niveau européen, le récent traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), signé par 25 Etats membre de l’UE le 2 mars 2012, impose aux Etats d’inscrire dans leur loi la « règle d‘or » qui les contraint à voter un budget équilibré et à limiter leur déficit budgétaire à 0,5% du PIB.
 
[2] Dans la période de transition, les Etats se voient imposer des dates butoir soit pour réduire leur déficit structurel (Thüringen à partir de 2011, etc.) soit pour rester au moins à l’équilibre lorsqu’ils sont en situation d’excédent (Sachsen depuis 2009). En contrepartie, les Etats reçoivent une aide de consolidation. L’Etat fédéral menace les Etats qui ne se plieraient pas à cette règle de leur supprimer cette aide. Au-delà, la loi fondamentale ne prévoit pas de mécanisme de sanctions en cas de déficit excessif des Länder.

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