Le blog du CEPII

CETAssez compliqué… Où en sommes-nous exactement ?

La signature du CETA a eu lieu en octobre 2016, après maintes péripéties. Mais elle n’est que le début du processus de conclusion de l’accord, qui peut se révéler compliqué : avis des cours de justice, incertitudes concernant la ratification… État des lieux, avant l’application provisoire prévue fin septembre.
Par Cecilia Bellora
 Billet du 1er septembre 2017


Aide – mémoire : du début des négociations à aujourd’hui

Tout d’abord quelques rappels : le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) est un accord commercial négocié entre l’UE (Union européenne) et le Canada. Il est dit « de nouvelle génération » dans la mesure où il concerne les tarifs douaniers mais également les mesures non tarifaires qui s’appliquent au commerce de biens et de services1. Les négociations ont été officiellement lancées en 2009 et conclues en 2014. La révision juridique qui a suivi a été longue et ne s’est terminée qu’en février 2016 : elle a de fait permis de modifier le chapitre de l’accord portant sur les investissements en y intégrant une version révisée du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, de sa dénomination anglaise Investor State Dispute Settlement). Le processus de signature et ratification a pu débuter quelques mois plus tard : le 27 octobre 2016, les représentants des 28 ont donné à l’unanimité leur accord pour la signature du CETA, qui a eu lieu le 30 octobre à Bruxelles.

Rappelons que la signature n’est que la première étape de la procédure législative amenant à l’application définitive d’un accord commercial. Le 15 février 2017, le Parlement européen a approuvé le texte de l’accord, la ratification nécessitant également l’approbation de chacun des États membres, selon leurs législations nationales, nous allons y revenir. Au Canada, la ratification a eu lieu le 15 mai dernier, suite aux votes favorables de la Chambre des Communes et du Sénat. À ce stade, l’entrée en vigueur provisoire de l’accord est possible, elle devrait avoir lieu à partir du 21 septembre 2017. Elle concernera les mesures sur l’accès aux marchés des biens et des services et sur les investissements directs, mais pas l’ISDS ni les dispositions sur les investissements dits de portefeuille, ni quelques autres dispositions sur la propriété intellectuelle et la transparence.

Un accord mixte : la balle va revenir dans chacun des États membres de l’UE

Maintenant, comment passer de l’application provisoire à celle définitive ? Et pourquoi l’application provisoire n’est-elle que partielle ? La politique commerciale est une compétence exclusive de l’UE, les États membres lui ayant transféré leur pouvoir en la matière. Ceci implique que l’UE, au nom de ses États membres et sous leur contrôle, peut négocier, signer et appliquer un traité commercial, sans que le texte revienne au niveau national pour validation. Néanmoins, le CETA contient des éléments qui ne relèvent pas exclusivement de la politique commerciale mais touchent à des compétences partagées entre les organes législatifs de l’Union et ceux de ses membres, il va donc devoir être approuvé dans chacun des États européens, individuellement. Les dispositions qui relèvent de ce partage sont celles sur les investissements de portefeuille (i.e. les investissements autres que « directs »), les politiques de transport et l’ISDS, comme l’a clarifié la Cour de Justice européenne lors de l’avis qu’elle a rendu le 16 mai dernier (cet avis a été demandé à propos de l’accord commercial entre l’UE et Singapour mais éclaire également le cas du CETA)2. En ce qui concerne les politiques de transport, conformément au Traité sur le Fonctionnement de l’UE, la compétence redevient néanmoins exclusivement de l’UE puisque l’accord affecte de façon significative la politique commune des transports.

En France, la ratification par le Parlement va prendre du temps mais les débats ont déjà commencé

En France, le CETA doit être ratifié en vertu d’une loi, comme tout traité commercial3 mais également pour valider les mesures qui relèvent des compétences mixtes. La procédure est longue : l’Assemblée nationale rapporte un délai moyen de trois ans et deux mois entre la signature et la ratification, dont 23 mois entre la signature et la présentation au Conseil des Ministres et 12 mois au Parlement4. En outre, les dispositions d’un traité soumis au Parlement ne peuvent pas (ou très difficilement, par des pirouettes juridiques) être amendées.

Dans le cas précis du CETA, au moins deux éléments, pour l’instant, s’ajoutent à cette procédure : la saisie du Conseil constitutionnel et la mise en place d’une commission d’évaluation d’impact. En février 2017, une soixantaine de députés ont demandé au Conseil constitutionnel de déterminer si le CETA contenait une clause contraire à la Constitution5. Le Conseil a en particulier examiné des questions liées à l’ISDS, à la prise en compte du principe de précaution et à l’application provisoire du traité. Voici, en bref, les conclusions rendues le 31 juillet dernier :

  • Le Conseil constitutionnel considère que l’ISDS n’empêche pas l’exercice de la souveraineté nationale : l’ISDS institue un tribunal qui ne peut ni interpréter ni annuler les décisions prises par les États, ses décisions concernent des dédommagements pécuniaires6, et des mesures sont prises dans le CETA pour qu’il n’y ait pas de conflit avec les tribunaux nationaux. Le Conseil estime également que les principes d’indépendance et d’impartialité des juges sont respectés : le CETA (contrairement aux autres traités incluant un ISDS), met en place des règles d’éthique et des exigences de qualification, et stipule que le tribunal doit compter autant de juges européens que canadiens. Enfin, puisque le mécanisme est réciproque et qu’il a un intérêt apprécié comme général (il permet d’attirer les investisseurs), il est considéré comme respectant le principe d’égalité.

  • L’avis du Conseil est que, même si le principe de précaution n’est pas explicitement mentionné dans le CETA, il n’est pas ignoré, entre autres parce que l’accord autorise les parties à prendre des mesures pour préserver l’environnement, y compris en l’absence de certitudes scientifiques.

  • L’application provisoire et les conditions de dénonciation de l’accord ne portent pas atteinte à la souveraineté nationale d’après le Conseil, dans la mesure où l’application provisoire ne concerne que des dispositions qui relèvent de la compétence exclusive de l’UE et qu’elle peut prendre fin si une des parties n’est pas en mesure de ratifier l’accord.

Concrètement, cela implique que, si le Parlement vote en faveur du CETA, une modification de la Constitution française ne sera pas nécessaire.

Le 6 juillet dernier, le Premier ministre a nommé une commission de 9 experts7 pour évaluer l’impact du CETA sur le climat, l’environnement et la santé. Le rapport d’évaluation est attendu le 7 septembre prochain, il sera pris en compte pour l’élaboration de la position du gouvernement concernant la ratification du CETA. Les questions des liens avec l’environnement – via, par exemple, l’augmentation des émissions dues aux transports, la possible augmentation de la consommation du pétrole issu des sables bitumineux mais également les éventuels bénéfices dus aux transferts technologiques - sont complexes et sensibles et constituent l’une des principales raisons de l’opposition au CETA, avec l’ISDS.

Une conclusion incertaine et un doute sur la capacité de négociation de l’UE

Que retenir de l’ensemble des ces éléments ? Les enjeux sont multiples, les impacts incertains, les sujets sur la table complexes, l’information et la pédagogie insuffisantes, l’opposition forte, la procédure législative compliquée et son issue incertaine. Issue incertaine au niveau national, mais également au niveau européen. Si un État ne ratifie pas le CETA, que se passera-t-il ? Une application à la carte paraît impossible : comment appliquer certaines mesures uniquement dans certains États, alors qu’il y a une libre circulation au sein de l’UE, et sans remettre en question l’ensemble de l’accord ? L’application provisoire des mesures qui relèvent des compétences exclusives de l’UE peut certes prendre fin si l’une des parties n’est pas en mesure de ratifier, mais encore faut-il que cette fin soit demandée. Au-delà du CETA, les accords commerciaux de nouvelle génération sont devenus des objets politiques tout autant qu’économiques. Au sein de l’UE, cela pose des questions d’une nature nouvelle. Vis-à-vis des partenaires commerciaux, cela fragilise la capacité de négociation de l’UE, la conclusion des négociations n’impliquant pas automatiquement la conclusion de l’accord, loin de là.
 


[1] Pour en savoir davantage sur les contenus, voir le billet du blog du Cepii du 18 octobre 2016, De quoi CETA est-il le nom ?
[2] https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2017-05/cp170052fr.pdf
[3] La ratification des traités internationaux est faite par le Président de la République mais, quand elle concerne un traité commercial (entre autres), elle ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi
[4] Source : Assemblée Nationale.
[5] Détails sur le site du Conseil constitutionnel.
[6] À noter qu’une partie de la controverse sur l’ISDS porte sur le fait que, comme les montants en jeu peuvent être considérables, ils ont un rôle dissuasif sur les États, qui peuvent abandonner certaines mesures sans que cela leur soit formellement interdit mais de peur de devoir dédommager ensuite les investisseurs étrangers qui se considèrent lésés.
[7] Composition sur le site du gouvernement.

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