Le blog du CEPII

Les contrats d'échange sur le risque de défaut : un monde étrange


Retranscription écrite de l'émission du 15 mars "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38.
Par Agnès Bénassy-Quéré
 Audio du 15 mars 2012




Aujourd’hui je voudrais initier nos auditeurs à un monde étrange, celui des contrats d’échange en cas de défaut, autrement dit les Credit Default Swaps, ou CDS. Vendredi dernier, le gouvernement grec a forcé la main d’une partie de ses créanciers pour les amener à échanger leurs titres de dette contre de nouveaux titres portant une valeur deux fois moindre. L’association internationale des produits dérivés a alors déclaré qu’il y avait eu un « événement de crédit », mot-clé qui déclenche l’exercice de ces contrats d’assurance qu’on appelle CDS. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien, Marc, j’imagine que vous avez assuré votre appartement contre l’incendie. L’événement de crédit sur le marché des CDS, c’est comme pour vous l’incendie. Vous allez appeler votre assureur et lui réclamer le remboursement de vos meubles partis en fumée.

Ce qui est étrange avec les CDS, c’est que les assurés ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Imaginez que je sois assurée contre l’incendie de votre appartement. Moi aussi je vais téléphoner à l’assureur pour être remboursée des dégâts que vous avez subis. On appelle cela un CDS nu : une assurance contre un risque qui ne vous concerne pas. Comment serai-je indemnisée ? Le principe, c’est que l’assureur me remboursera l’écart entre la valeur faciale du titre et sa valeur de marché – l’écart entre le prix d’achat de vos meubles et la valeur des cendres.

Supposons qu’avant l’échange de la semaine dernière, vous aviez une obligation grecque d’une valeur faciale de 100 €. Vendredi dernier, vous avez échangé cette obligation contre une autre, d’une valeur de 50 €. Cette semaine, cette nouvelle obligation s’échange sur le marché à un prix qui varie sans cesse. Le 19 mars prochain, l’association internationale des produits dérivés va organiser une enchère qui permettra de fixer un prix de marché unique pour ces titres, mettons 25 €. Comme vous êtes assuré contre un défaut de paiement de la Grèce, vous pourrez alors échanger votre titre contre 100 € auprès de votre assureur ; ou bien recevoir de lui l’écart entre la valeur initiale du titre (100 €) et sa nouvelle valeur (25 €), soit 75 €, puis vendre le titre sur le marché au prix de 25 €. Dans les deux cas, vous serez indemnisé à 100%. Pour moi qui ne possède pas le titre grec mais uniquement l’assurance – mon CDS est nu, je recevrai quand même 75 € de l’assureur. Banco.

Quels sont les risques associés à cette opération ? Le principal risque, c’est qu’un assureur se trouve dans l’incapacité d’honorer ses engagements, comme AIG lors de la faillite de Lehman Brothers en 2008. Si AIG avait véritablement fait faillite, il n’aurait pas indemnisé ses assurés qui, à leur tour, auraient peut-être fait faillite, etc. Aujourd’hui, le risque est bien moindre. Le montant total brut de contrats d’assurance sur la Grèce est de 69 milliards d’euros, contre 400 milliards dans le cas Lehman. Surtout, le défaut partiel de la Grèce n’est pas une surprise. Dans les semaines qui ont précédé l’échange semi-forcé, le prix des CDS a beaucoup augmenté et des provisions ont été constituées, de sorte que les assureurs se sont préparés, ce qui n’était pas le cas à l’époque Lehman. Pour une fois, on peut se féliciter de la lenteur des négociations, qui ont permis au marché d’anticiper. Vive les escargots.
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