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Réformer les marchés du travail en temps de crise : le FMI s’explique

Face aux controverses et aux oppositions qu’ont suscité les recommandations de réforme du marché du travail dans les pays européens en crise, le FMI publie une note expliquant leur logique.
Par Fabien Tripier
 Billet du 3 mai 2013


Le FMI nous fait partager sa vision actuelle de la crise du marché du travail dans la zone Euro. Cette vision, plus exactement celle de ses économistes, est présentée dans une récente Staff Discussion Note [1]. Que le FMI s’intéresse aux marchés du travail des pays avancés, notamment européens, n’est pas une nouveauté. La nouveauté est que le FMI est aujourd’hui partie prenante de ces réformes. Participant aux plans de sauvetage de pays de la zone Euro, il exerce son pouvoir de négociation sur les plans de réformes structurelles négociés en échange de programmes de refinancement.
 
Le schéma 1 synthétise la grille d’analyse du marché du travail proposée dans cette Staff Discussion Note. De bas en haut, les institutions sur le marché du travail déterminent la flexibilité du marché du travail et ensuite la capacité de l’économie à atteindre une forte croissance de la productivité et un chômage faible. Les auteurs distinguent la flexibilité microéconomique (portant sur la capacité du marché du travail à réallouer les travailleurs des entreprises en déclin vers celles en expansion) de la flexibilité macroéconomique (portant sur la capacité du marché du travail à réagir aux chocs macroéconomiques), chacune étant déterminée par des institutions spécifiques (assurance chômage, protection de l’emploi, salaire minimum et fiscalité, négociations collectives, cf. schéma 1).
 
Les auteurs s’attachent ici à produire une analyse équilibrée de ces institutions mettant en avant, pour chacune d’entre-elles, des coûts et des bénéfices. Ainsi aucune institution considérée n’est en soi dénuée de fondements économiques, tout dépend du contexte et des règles précises la régissant. La position rappelle ici celle adoptée par le FMI concernant le contrôle des capitaux [2], écartant des recommandations systématiques, plaidant au contraire pour des recommandations circonstanciées, au cas par cas.
 
Ce constat dressé, les politiques à suivre en temps de crise se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît car elles ne se limitent pas au seul marché du travail. Elles doivent s’inscrire dans une perspective macroéconomique et distinguer les enjeux de court et de moyen terme.
 
Rappelant à cette occasion l’interprétation de la crise par le FMI, les auteurs insistent sur la dimension cyclique du chômage : la progression récente du chômage est le résultat d’une chute de la demande agrégée et non pas de modifications de la structure du marché du travail. La priorité est donc au soutien à la demande agrégée par les politiques monétaires non conventionnelles et de soutien au financement de l’économie (les marges des politiques budgétaires préconisées par le FMI au début de la crise, s’étant réduites ensuite).
 
Les politiques sur le marché du travail peuvent compléter les politiques macroéconomiques conjoncturelles, mais les recommandations se font au cas par cas. Deux types de politique ont été recommandés par la FMI face à la crise. Premièrement, les dispositifs d’assurance et d’accompagnement des chômeurs doivent être fortement mobilisés pour limiter les coûts individuels du chômage et prévenir les phénomènes de persistance du chômage consécutifs aux pertes de qualifications. Deuxièmement, la baisse du coût réel du travail est préconisée pour améliorer la compétitivité des pays souffrants de déficits commerciaux importants et ne pouvant (ou ne souhaitant pas) dévaluer leur monnaie domestique. Cette baisse peut être atteinte par la réduction des salaires dans le secteur public, du salaire minimum et la mise en place de clause d’exemption des accords collectifs.
 
Les autres politiques recommandées porteront leur fruit à moyen terme en cas de sortie de la crise actuelle. Réformer la protection de l’emploi pour réduire la dualité du marché du travail pourrait même accroître temporairement le chômage. Concernant les réformes des procédures de négociation collective, les auteurs recommandent la prudence tant les règles sont complexes, s’inscrivant dans une histoire nationale et dépendant de facteurs essentiels, comme la confiance entre les acteurs, dont les évolutions sont lentes.
 
Au final, le sentier de sortie de crise esquissé par le FMI pour l’Europe est étroit et risqué.
 
Les réformes structurelles du marché du travail n’auront pas d’effets immédiats sur le chômage et la croissance. Leurs bénéfices requièrent au préalable un succès des politiques conjoncturelles de sortie de la crise. Ne préconisant plus de politiques conjoncturelles budgétaires, seules les politiques monétaires non conventionnelles peuvent jouer au niveau macroéconomique. Si elles ne sont pas suffisantes, la seule politique sur le marché du travail préconisée est l’amélioration rapide de la compétitivité des entreprises (c’est-à-dire par une baisse du coût réel du travail). Le risque, si cette politique devait être étendue à de grandes économies comme la France, est de baisser la demande agrégée européenne et de contribuer ainsi à renforcer le chômage cyclique.
 
Une partie de la solution à l’insuffisance de croissance de court terme, selon les auteurs, réside dans une plus grande hétérogénéité des taux d’inflation entre le Nord et le Sud de la zone Euro. Là-encore, le chemin est étroit, la BCE ayant plutôt tendance à promouvoir la convergence des taux d’inflation entre les économies de la zone Euro pour favoriser la stabilité monétaire [3]. La BCE pourrait temporairement s’écarter de cet objectif de convergence, mais cela nécessiterait qu’elle modifie (à nouveau) les fondamentaux de sa politique monétaire.
 
Concernant les réformes structurelles visant à améliorer durablement la croissance et l’emploi, les auteurs se concentrent sur les bénéfices attendus en termes de gains de productivité d’un meilleur fonctionnement du marché du travail. Sans négliger l’importance de ces gains potentiels de productivité, il convient de rappeler que la R&D est l’un des déterminants fondamentaux des gains de productivité [4] et l’échec durable de l’Union Européenne en la matière qui ne parvient pas à atteindre son objectif de 3% du PIB européen qui devrait lui être consacré. Les conséquences de cet échec des politiques de R&D ne se limitent pas à une plus faible croissance de long terme, elles peuvent également se traduire par un chômage structurel plus élevé [5].
 
Schéma 1 - Représentation synthétique de la grille d’analyse du marché du travail.


 
Ce billet a été rédigé dans le cadre de la conférence organisée par le CEPII, le Club du CEPII et le FMI le 3 mai 2013. Pour plus d'information, cliquez ici.

[1] « Labor Market Policies and IMF Advice in Advanced Economies During the Great Recession », by Olivier Blanchard, Florence Jaumotte, and Prakash Loungani, Staff Discussion Note 13/02, March 29, 2013. Oliver Blanchard est le directeur du département de la recherche au FMI.
 
[2] « The Liberalization And Management Of Capital Flows: An Institutional View”, Approved by Olivier Blanchard, Sean Hagan, Siddharth Tiwari, and José Viñals, Policy Paper, November 14, 2012.
 
[4] « Mapping the Two Faces of R&D: Productivity Growth in a Panel of OECD Industries », Rachel Griffith, Stephen Redding, John Van Reenen, The Review of Economics and Statistics, Vol. 86, No. 4, Pages 883-895, 2004.
 
[5] Pour une analyse théorique et empirique de la relation de long terme entre croissance et chômage, voir « Sticky prices, fair wages, and the co-movements of unemployment and labor productivity growth », Fabien Tripier, Journal of Economic Dynamics and Control, Vol. 30, Issue 12, Pages 2749–2774, 2006. 

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