Le blog du CEPII

Risques et opportunités d’un accord transatlantique pour l’agroalimentaire européen

Alors que les échanges agroalimentaires transatlantiques sont relativement faibles, leur libéralisation entre les Etats-Unis et l’UE est un sujet sensible. Un rapport conjoint CEPII-CESifo paru aujourd’hui pour le Parlement Européen présente les opportunités et les risques d’un tel accord.
Par Charlotte Emlinger, Jean Fouré
 Billet du 3 septembre 2014


Un commerce agroalimentaire transatlantique relativement limité

Les Etats-Unis ne sont pas un partenaire essentiel de l’Union Européenne (UE) en ce qui concerne le commerce agricole : seulement 8 % des importations agroalimentaires de l’UE proviennent des Etats-Unis, et 13 % des exportations européennes dans ce secteur sont à destination du marché américain. Par ailleurs, comparativement au secteur industriel, l’agroalimentaire ne représente qu’une faible part du commerce transatlantique (4% des importations européennes depuis les Etats-Unis et 5 % des exportations).

La contribution de ces exportations dans l’économie des pays membres est variable d’un Etat à l’autre. Les enjeux en cas de libéralisation des échanges agricoles dans le cadre du TTIP diffèrent donc également.

Les biens agroalimentaires sont soumis à des droits de douane plus importants et à de nombreuses mesures non tarifaires

Alors que les droits de douane entre les Etats-Unis et l’Union Européenne sont faibles dans l’industrie, ils restent relativement élevés dans le secteur agroalimentaire (voir un précédent billet « Les enjeux d’un accord commercial transatlantique »). Ces droits de douane ont un impact plus important sur les importations européennes en provenance des Etats-Unis que sur les exportations de l’UE à destination du marché américain.

De plus, les biens de consommation alimentaire sont soumis à de nombreuses normes sanitaires, phytosanitaires et environnementales qui protègent les consommateurs des deux côtés de l’Atlantique, qui sont susceptibles d’accroître le coût d’exportation pour les entreprises. Comme détaillé dans un précédent billet (« Mesures non tarifaires : que négocie-t-on avec les Etats-Unis ? »), ces mesures sont nombreuses et diverses. Cela rend leur quantification difficile, tout autant en termes de gains pour les consommateurs qu’en termes de restriction des échanges.

Par exemple, l’embargo des Etats-Unis sur la viande bovine européenne (consécutif à l’épidémie d’encéphalite spongiforme bovine), ou l’interdiction d’utilisation d’acide lactique comme conservateur et exhausteur de goût en Union Européenne, ont tout simplement empêché certaines variétés de viandes d’être échangées. A contrario, les obligations de traçabilité augmentent les charges pour les producteurs américains, mais n’empêchent pas ces produits de pénétrer sur le marché communautaire.

Pour mesurer l’effet restrictif des mesures non tarifaires sur les échanges, nous utilisons des méthodes statistiques, permettant d’obtenir une image d’ensemble cohérente avec la réalité des échanges transatlantiques. Toutefois, il est difficile de prendre en compte toute la diversité des mesures et c’est pourquoi l’évaluation quantitative est complétée par une analyse qualitative plus détaillée.

Un accroissement potentiellement important du commerce transatlantique

Forts de ces constats et de nos évaluations des barrières aux échanges, nous proposons une analyse macroéconomique quantitative d’un potentiel accord transatlantique : l’issue des négociations n’est pas encore connue, en particulier dans le cas de l’agroalimentaire. Nous avons donc cherché à donner des ordres de grandeur en conservant une cohérence d’ensemble, tout en sachant que notre évaluation constitue plutôt une borne haute des impacts potentiels (nous considérons que tous les secteurs vont être concernés par l’accord avec la même ambition).

D’après notre évaluation, une suppression des droits de douane entre l’Union Européenne et les Etats-Unis et une réduction des mesures non tarifaires de 25 % (avec quelques exceptions déjà connues comme le secteur audiovisuel) augmenteraient le commerce transatlantique de biens et de services de 40 %. Les effets dans le secteur agroalimentaire seraient plus élevés, avec une augmentation de 60 % des exportations de l’UE vers les Etats-Unis et de 125 % des importations de l’UE en provenance des Etats-Unis, d’ici 2025.

Les intérêts offensifs en termes d’exportation pour l’Union Européenne se trouveraient dans le secteur de la viande rouge (dont les exportations vers les Etats-Unis seraient multipliées par cinq), du Sucre, de la viande blanche (multipliées par quatre dans ces deux cas) et des produits laitiers (multipliées par près de trois et demi). Les mêmes secteurs verraient leurs importations augmenter en Europe dans des proportions encore plus grande. Toutefois, ces hausses de commerce, fortes en proportions, ne signifient pas systématiquement de fortes hausses de commerce en valeur. En effet, elles concernent dans de nombreux cas des produits pour lesquels le commerce transatlantique est actuellement faible. Dans tous les cas, et ce même si la protection douanière est relativement forte, la plus grande partie de ces gains de commerce est liée à la réduction des mesures non tarifaires, la suppression seule des droits de douane n’ayant qu’un impact limité sur le commerce.

Malgré les impacts non négligeables en termes d’échanges transatlantiques, l’accord n’aurait que des conséquences modestes sur la valeur ajoutée agricole. Ainsi, la production agricole connaîtrait une baisse de 0,5 % en Union Européenne, tandis qu’aux Etats-Unis elle augmenterait de 0,4  %. Ces pertes sont très inégalement réparties entre les pays Européens, les plus grands pays membres étant par exemple moins défavorisés que les pays baltes.

Des risques et des opportunités pour les secteurs agricoles et agroalimentaires européens

Nos analyses quantitatives et qualitatives se rejoignent dans l’identification des secteurs les plus concernés. Ceux pour lesquels une libéralisation du commerce transatlantique entraînerait les plus grands gains en termes d’exportations pour l’Union Européenne sont celui des produits laitiers, des produits transformés dont celui des vins et spiritueux, et, sous certaines conditions d’accès au marchés, le sucre et le biodiésel.

D’un autre côté, certains secteurs devraient faire face à une forte concurrence en cas de libéralisation du commerce avec les Etats-Unis. Le secteur bovin, et en particulier le bétail destiné à la production de viande, serait très vulnérable en cas de libéralisation. Les productions européennes d’éthanol, de volaille et de céréales (principalement celle de maïs et de blé de faible qualité) seraient également affectées par cette hausse de concurrence.

La négociation de l’accord transatlantique doit donc concilier des enjeux contradictoires. D’un côté, une libéralisation sans convergence règlementaire pourrait être à l’origine de distorsions de concurrence importantes. En effet, les producteurs européens devant continuer à être en accord avec la réglementation européenne, feraient alors face à des coûts plus importants que leurs homologues des Etats-Unis (en particulier concernant les OGM, les pesticides ou les traitements sanitaires de viandes). D’un autre côté, une convergence réglementaire permettrait l’instauration d’une concurrence équitable sur les marchés européens et américains, mais pourrait comporter un risque de nivellement par le bas, et potentiellement entrer en contradiction avec les principes actuels de la réglementation européenne.

"Risks and Opportunities for the EU Agri-Food Sector in a Possible EU-US Trade Agreement", study requested by the European Parliament’s Committee on Agriculture and Rural Development.
"Risques et opportunités pour le secteur agroalimentaire européen liés à un possible accord entre l'UE et les États-Unis", étude commandée par la Commission de l'Agriculture et du Développement Rural du Parlement européen.
 
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