Le blog du CEPII

Le projet de transformation du système fiscal par les Républicains, un outil du protectionnisme (2/2)

Malgré une forte mobilisation d’une partie importante de la communauté d’affaires, ce projet a de bonnes chances de devenir loi.
Par Jean-François Boittin
 Billet du 16 janvier 2017


Le contexte à Washington est particulièrement complexe : de nombreux, et puissants acteurs sont opposés à cette partie du projet de loi, et se sont mobilisés. Les détaillants, Walmart en tête, sont vent debout contre une réforme qui mettrait en cause leur profitabilité, et, pour certains, leur existence. Le lobbyiste en chef de la Fédération Nationale des Détaillants, David French, a déclaré par exemple : « Nos membres nous disent que la taxe sur leurs importations pourrait représenter jusqu’a 5 fois leurs profits. Je ne suis pas sûr qu’ils pourraient tous y survivre ». A titre d’exemple, l’Economic Policy Institute, notoirement protectionniste, estime à près de 50 milliards de dollars le montant des achats de Walmart en Chine (la moitié des exportations chinoises vers l’Allemagne), soit un sixième des ventes de la chaîne aux Etats-Unis. Les autres grands détaillants, Target, Lowe’s ou Home Depot seraient pareillement touchés. Mais tous les secteurs seraient affectés. De manière intéressante, Koch Industries, un donateur majeur du Parti Républicain est totalement opposé à l’ajustement à la frontière. Le Brattle Group, société de consultants, a calculé une hausse possible de 30 cents du prix de l’essence à la pompe. Paradoxalement, alors que l’objectif affiché est d’éviter la mise en place d’une TVA, le résultat de l’ajustement à la frontière serait celui-là même que ses partisans disent vouloir éviter : une taxation régressive des consommateurs les plus fragiles. Plus généralement, toutes les branches, de plus en plus nombreuses, qui fonctionnent sur un modèle de chaînes d’approvisionnement globales seraient touchées et se mobilisent. Les détaillants et de nombreux syndicats professionnels ont rédigé et signé, le 13 décembre, une « pétition » à l’attention de Kevin Brady, Républicain, président de la Commission des Voies et Moyens, plaidant pour un abandon de l’ajustement à la frontière dans le Blueprint.
 
Le danger est néanmoins réel que le projet voie le jour, pour une série de raisons qui se cumulent :
  • l’impact budgétaire : c’est pratiquement la seule source de revenus nouveaux dans un projet d’ensemble qui réduit fortement les impôts sur les particuliers et les entreprises, alors que le Parti Républicain se veut –en tout cas quand il est dans l’opposition– gardien de l’orthodoxie budgétaire. L’impact est estimé à 1,2 billions de $ sur 10 ans (pour mémoire, les droits de douane représentent aujourd’hui un montant annuel de 40 milliards de $, c’est donc l’équivalent d’un triplement de ces droits que le Blueprint envisage) ;
  • l’engagement personnel de Kevin Brady, et du Speaker de la Chambre, Paul Ryan, derrière ce projet. L’attitude du Sénat n’est pas encore connue, mais l’intention du Leader Républicain du Sénat, Mitch McConnell, de faire avaliser le projet de réforme fiscale dans le cadre du processus dit de réconciliation budgétaire limite les possibilités de bloquer le processus dans le Chambre haute.
  • l’argument, qui affiche la volonté de neutraliser les effets pervers de la TVA utilisée par les « étrangers » est porteur, et le Blueprint en joue largement : « pour la toute première fois, les États-Unis auront la possibilité de contrer les ajustements à la frontière pratiqués par nos partenaires commerciaux avec leur TVA ». Pour primaire et inexacte que soit cette présentation, elle porte dans un pays dont les politiciens clament à qui veut l’entendre que « nos travailleurs sont les meilleurs du monde », et donc que le déficit commercial est la preuve que le système est biaisé contre le pays ;
  • enfin, et surtout, l’esprit du système proposé s’accorde parfaitement avec le discours protectionniste du Président élu, une des –rares– convictions profondes de l’intéressé, et a un écho incontestable auprès des électeurs qui ont fait son succès dans les « swing States ». L’analyse des votes dans plusieurs comtés décisifs démontre que des électeurs qui rejetaient la personnalité du candidat comme ses propos sur l’immigration ont cependant voté pour lui, espérant une amélioration de leur situation économique mise à mal par la concurrence de la Chine.[1] L’opposition au libre-échange rejoint d’ailleurs un axe essentiel de la politique prônée par les syndicats américains, traditionnellement proches des démocrates. Pour cette raison aussi, il est plus que vraisemblable que le Président élu se fera un plaisir d’aller dans la direction du Blueprint, malgré, ou plutôt à cause de la violation probable de l’accord OMC qu’il représente : une façon comme une autre d’afficher son rejet des convenances, son mépris des institutions internationales et sa volonté de rupture.

Dans ce contexte, l’attitude des partenaires commerciaux des États-Unis sera un élément important, voir décisif, dans le débat. La plupart des commentateurs soulignent le risque que le projet d’« ajustement à la frontière » déclenche non seulement des plaintes à l’OMC, mais aussi des mesures de rétorsion immédiates, qui seraient justifiées par la lenteur des procédures de l’organisation. L’affichage d’une opposition déterminée de la part des partenaires commerciaux des États-Unis pèsera dans le processus interne. L’UE a, dans ce cadre, un rôle essentiel à jouer. Il n’est pas sûr qu’elle y soit prête, même si en la matière, la Commission, compétente sur les questions commerciales, est à la manœuvre. Il serait regrettable que la crainte de prendre d’emblée une posture agressive vis-à-vis du nouveau Président, la timidité de l’institution, ou les réticences de tel ou tel État membre ne figent l’Europe dans une posture attentiste, là où l’affirmation vigoureuse de tout et chacun à vivre par la lettre et l’esprit des règles de l’OMC est essentielle au maintien du système international des échanges.
 

[1] The Electoral Consequences of Rising Trade Exposure. David Autor, David Dorn, Gordon Hanson, Kaveh Majlesi. NBER Working Paper No. 22637.
 
Politique économique 
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