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Accord commercial « intérimaire » entre la Chine et les États-Unis : la Chine remporte le premier set, 6-2

Les États-Unis et la Chine avaient annoncé, lors de la rencontre entre le Président Xi Jin Ping et le Président Trump en Floride, le lancement d’un programme de travail dit des "cent jours" destiné à "renforcer" la coopération économique.
Par Jean-François Boittin
 Billet du 19 mai 2017


C’est un euphémisme : il s’agit, pour la partie américaine, de réduire le déficit bilatéral avec la Chine, qui s’élève à 310 milliards de dollars en 2016, le déficit de 347 milliards de produits n’étant que très peu réduit par le surplus de 37 milliards dans les services.

Le secrétaire au commerce, Wilbur Ross, a présenté triomphalement dans une conférence de presse à la Maison Blanche le jeudi 11 mai un bilan intérimaire des négociations en cours : "plus que ce qui a jamais été fait dans l’histoire des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine". L’hyperbole présidentielle est apparemment contagieuse. Il a aussi parlé d’un effort "herculéen", jugement tout personnel.

L’accord est en réalité l’annonce de décisions qui doivent être confirmées d’ici au 16 juillet, mais on peut dès maintenant en faire un bilan.

Deux constatations d ‘abord :
  • la Chine a réussi à imposer le principe de négociations sectorielles, et d’une politique des petits pas, précisément ce que redoutait nombre d’analystes à Washington. Les problèmes posés par la Chine depuis son accession à l’OMC sont en effet des problèmes systémiques : absence d’économie de marché, avantages donnés à des entreprises étatiques, surplus de capacités de production déversés sur les marchés mondiaux, obligation pour les investisseurs étrangers de partager leur propriété intellectuelle. Tous ces travers s’aggravent avec la Présidence de Xi Jin Ping, qui accentue systématiquement l’emprise de l’État sur l’économie. En cherchant à produire des résultats concrets et immédiats, l’équipe Trump passe à côté de l’essentiel.
  • la Chine, qui était potentiellement en position d’accusée, du fait de son excédent bilatéral, a également réussi à imposer le principe d’une négociation « équilibrée » : chaque concession chinoise s’accompagne d’une concession américaine.

Si on examine le détail des annonces, quatre domaines sont couverts : exportations agroalimentaires (bœuf américain et poulet cuit chinois), approbations de produits de biotechnologie agroalimentaire, énergie et services financiers – en particulier paiements électroniques.

Exportations agroalimentaires : d’ici au 16 juillet, les deux parties s’engagent à permettre les importations de viande bovine américaine en Chine, et de viande de poulet cuit chinois aux États-Unis. La Chine, avec d'autres pays, avait suspendu les importations de viande de bœuf en provenance des États-Unis en 2003, après des cas de maladie de « vache folle » dans le pays. Elle avait déjà annoncé lever l’interdiction d’importation en septembre dernier, et devrait donc mettre en œuvre cette promesse d’ici au 16 juillet, sous réserve d’une dernière réunion de négociation avec le régulateur chinois, en particulier sur la question de la traçabilité des produits exportés. Les États-Unis pourront de nouveau concurrencer le Brésil et l’Australie sur le marché chinois, en forte expansion (la consommation augmente de 4 % par an en moyenne, les importations ont doublé entre 2003 et 2013). L’Australie vient de conclure un accord pour $300 millions d’exportations supplémentaires de viande bovine avec la Chine. Parallèlement, les États-Unis accepteront l’importation de viande de poulet cuite en provenance de Chine : la satisfaction de cette revendication était liée par le négociateur chinois à la levée de l’embargo sur le bœuf.

Autre sujet agricole : la commission sur la sécurité alimentaire des produits biotechnologiques (« national biosafety commission ») doit examiner, « sur une base strictement scientifique », les demandes d’autorisation de huit produits en provenance des États-Unis, et doit à la fois assurer la transparence du processus d’attribution des licences d’importation, et la rapidité dans le réexamen ultérieur des produits qui ne seraient pas autorisés dans un premier temps.

Énergie : les États-Unis sont prêts à vendre du gaz naturel à la Chine (!). Pour citer un récent débat présidentiel, on est là dans la « poudre de perlimpinpin », bonne traduction française de « snake oil ». Aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit l’exportation de GNL vers la Chine, qui se voit confirmer qu’elle sera traitée comme tous les pays tiers qui ne bénéficient pas d’un accord de libre-échange avec les États-Unis, et doivent obtenir une licence du Département de l’Énergie (dont on imagine que, sous Trump, il ne sera pas particulièrement regardant…). Une première livraison de GNL américain a d’ailleurs atteint la Chine en août dernier, après un transit par le canal de Panama récemment élargi. Encore faudra-t-il que les producteurs américains soient compétitifs avec les fournisseurs actuels de la Chine, le Qatar et l’Australie.

Plusieurs actions, là aussi marquées du sceau de la réciprocité, sont annoncées dans le domaine financier : la Chine autoriserait des sociétés à capitaux étrangers (pas seulement américaines) à offrir des services de notation de crédit, tandis que la CFTC s’engage à continuer sa pratique de « tolérance » à l’égard de la Shanghai Clearing House pour certaines activités de clearing de produits dérivés.

Wilbur Ross a salué en particulier une concession chinoise, l’autorisation donnée aux opérateurs américains de services de paiement électronique d’opérer directement en Chine, sans partenariat avec des sociétés locales, dès l’obtention de la licence nécessaire. Cette « offre » de Pékin est doublement intéressante : elle ne fait que mettre en œuvre une décision de l’OMC, qui avait déterminé en 2012 que la discrimination chinoise était contraire aux engagements pris par le pays lors de son accession, et ne fait que confirme dans le contexte du dialogue bilatéral sino-américain une décision annoncée le 22 avril d’ouvrir le marché chinois aux opérateurs étrangers. Quelle en est la valeur économique ?

Certes, la perspective d’avoir un accès direct, sans partenariat, à un marché de $7 000 milliards, en très forte croissance (33 % sur une année), est alléchante pour Visa et Mastercard. Mais le gouvernement chinois n’a rien laissé au hasard : les délais – cinq ans – mis par la Chine pour se mettre en conformité avec le jugement de l’OMC ont été utilisés par le monopole national, Union Pay, pour fortifier son emprise sur la marché : Union Pay est devenu numéro 1 mondial du marché des cartes de crédit en 2015, avec 37 % de part de marché, en hausse de 4 points par rapport à 2014, contre 32 % à Visa et 20 % à Mastercard.

Par ailleurs, la Chine, avec Alipay (450 millions d’utilisateurs) et WeChatPay, est le leader mondial du paiement par mobiles, avec un CA de $5 500 milliards, cinquante fois supérieur à celui des États-Unis : d’une certaine façon, le pays "saute" l’étape de la carte de crédit pour aller directement du paiement par chèque au paiement par mobile. Il n’est donc pas sûr que la concession chinoise représente une opportunité « unique » d’affaires pour des opérateurs américains coincés entre le tenant « historique » chinois et les jeunes loups du paiement mobile.

Deux autres paragraphes s’inscrivent dans la colonne crédit du négociateur chinois : « les États-Unis accueillent volontiers les investissements directs d’entrepreneurs chinois », une position de principe utile et une affirmation que la partie chinoise pourra reprendre, alors que le Congrès souhaiterait un contrôle plus étroit du Treasury, à travers le CIFIUS, sur les investissements en provenance de Chine, en particulier dans le domaine du hi-tech. Et, geste symbolique de la part des négociateurs américains, la reconnaissance de l’importance du projet chinois dit One Belt One Road, enfant chéri de Xi Jin Ping, et outil de l’impérialisme économique chinois : oubliée la bouderie américaine devant le projet d’Asian Infrastructure Investment Bank, qui avait été dénoncée par bon nombre de critiques il y a deux ans, y compris Larry Summers.

La série continue : l’abandon du TPP était un cadeau fait à Pékin dès le premier jour de la Présidence Trump. Dans cet accord intérimaire, le Secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, sacrifie les principes – la remise en cause du "système chinois" – en faveur de résultats concrets, peu substantiels, et qui sont payés par des concessions à la partie adverse. Les négociateurs chinois ne tarissent pas d’éloges sur leurs homologues américains : ils louent "leur pragmatisme, leur adaptabilité et leur professionnalisme". C’est bien le moins qu’ils puissent faire…
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