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Le conflit Chine-États-Unis va-t-il conduire à une forme de démondialisation ?

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a franchi une nouvelle étape avec la décision de Google de couper les ponts avec le géant chinois des smartphones Huawei.
Article paru dans La Croix, le 22 mai 2019
Par Sébastien Jean
 Billet du 7 juin 2019


Les sanctions peuvent avoir des implications considérables

Nous ne nous dirigeons pas vers une « démondialisation » au sens strict : malgré l’importance de l’interdiction faite aux entreprises américaines de commercer avec Huawei, la haute technologie est un secteur mondial, dans lequel on ne peut pas pénétrer sans recourir à des fournisseurs dispersés dans le monde et où l’extrême spécialisation des tâches ne va pas disparaître. Ceci étant, les décisions des derniers jours sont lourdes de menaces et augurent d’une transformation profonde de la mondialisation. Au vu du rôle central que jouera la 5G dans les économies de demain, les sanctions prises contre Huawei, leader mondial pour ses infrastructures, peuvent avoir des implications considérables. La décision contre Huawei a été suivie de l’annonce d’un répit de trois mois, pour adoucir le choc auprès des entreprises américaines qui travaillent avec elles et leur laisser le temps de s’adapter. Ces mesures suivent de près celles des nouveaux droits de douane, qui pour l’essentiel ne s’appliqueront que le 1er juin. Ces décisions donnent une impression d’improvisation de la part du gouvernement américain qui tente peut-être de laisser une porte entrouverte à un accord. Mais le climat est désormais extrêmement tendu et la marge, pour un accord pertinent, très étroite. L’objectif du gouvernement américain semble brouillé : recourir à l’arme des droits de douane était critiquable, mais au service d’un objectif compréhensible de rééquilibrage commercial entre la Chine et les États- Unis. De même, il était cohérent que les États-Unis contestent les subventions massives dont bénéficiait l’industrie chinoise, ainsi que les transferts forcés de technologies. Aujourd’hui, il semble que les États-Unis ne visent qu’à brider, contenir la puissance chinoise. Cet objectif est à la fois illégitime, parce qu’il est purement négatif, et inatteignable, parce que la Chine est désormais bien trop puissante pour accepter un accord humiliant. Dans le secteur de la haute technologie, les relations entre pays producteurs sont tellement imbriquées que l’isolement est un grand risque. La Chine peut elle aussi causer des dommages profonds à l’industrie américaine, ce que le président chinois a implicitement rappelé en répondant à la décision américaine par la visite d’un site d’exploitation de terres rares.

Le climat est désormais extrêmement tendu et la marge, pour un accord pertinent, très étroite

Les Américains sont tentés de rentrer dans un conflit où on ne cherche pas à gagner mais à infliger le plus de pertes possible à l’adversaire, alors qu’il faut espérer une approche constructive globale. Quant à l’Europe, elle a intérêt à rester dans un système organisé de relations commerciales et que la Chine accepte le jeu d’une compétition équitable, ce qui suppose de réformer les règles multilatérales concernant la réciprocité dans l’accès aux marchés, les subventions industrielles et les transferts de technologie.

Article original paru dans La Croix

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