Le blog du CEPII

Quelles sont les vraies monnaies refuges pendant les crises ?

Lors de paniques financières, les investisseurs cherchent à se protéger en délaissant leurs actifs risqués pour s’orienter sur des actifs sans risque ou des valeurs refuges. Des monnaies peuvent-elles jouer ce rôle ? Une récente étude du CEPII montre que seuls le dollar et le yen sont candidats à ce statut.
Par Virginie Coudert, Cyriac Guillaumin, Hélène Raymond
 Faits & Chiffres du 5 mars 2014


Pendant les crises financières, les investisseurs ont tendance à se débarrasser de leurs actifs risqués, dont les prix s’effondrent, au profit d’autres actifs, soit sans risque (comme du cash ou des bons du Trésor d’un Etat très bien noté) soit des valeurs dites refuges, comme l’or ou les métaux précieux dont les prix quoique fluctuants sont censés bien se tenir pendant les crises. Certaines devises –le dollar, le yen, l’euro, le franc suisse… – sont souvent considérées comme pouvant constituer aussi des valeurs refuge. Nous avons cherché à vérifier si elles le sont vraiment.

Pour ce faire, nous commençons par définir les notions de « valeur refuge » et   d’« actif sans risque ». Ce dernier terme désigne une dette sans risque de défaut, qui offre donc des rendements sûrs. Au contraire, les « valeurs refuge » ont des rendements aléatoires, qui sont corrélés négativement au cycle financier ; elles ont ainsi tendance à procurer des rendements positifs pendant les crises. En contrepartie, leurs excès de rendement anticipé (ou « primes de risque ») sont négatifs sur le long terme.

Nous considérons donc une monnaie comme une valeur refuge si deux conditions sont réunies : premièrement, sa prime de risque est négative sur le long terme ; deuxièmement ses excès de rendement sont positifs en moyenne durant les crises. En suivant cette définition, nous tentons d’identifier les monnaies refuges parmi un ensemble de 26 devises sur la période 1999 et 2013. Pour caractériser les crises financières, nous retenons les périodes où le VIX (volatilité implicite sur l’indice SP500) dépasse un seuil fixé arbitrairement à 30, ces crises étant qualifiées de « sévères » lorsque la volatilité dépasse le niveau critique de 40. Nous calculons ensuite les excès de rendements à 1 mois de ces monnaies par rapport au DTS sur l’ensemble de la période et sur les périodes de crises. Les gains peuvent provenir de deux composantes : des taux d’intérêts versés sur la monnaie supérieurs à ceux du DTS ou bien une appréciation de la devise contre DTS pendant la période de placement considérée (ici 1 mois). En réalité, les plus fortes pertes constatées sur les monnaies pendant les crises correspondent non pas à des taux d’intérêt faibles mais à des dépréciations brutales.
Seules deux monnaies, le dollar et le yen, satisfont les conditions pour être des valeurs refuges, car elles ont bien des excès de rendements négatifs sur le long terme (respectivement de -0,1 % et -1,1 % en moyenne annualisée) et positifs pendant les crises (respectivement de 2,3 % et 10,3 %, voir graphique). Pendant les crises sévères, la rentabilité de ces deux monnaies augmente encore atteignant 8,5 % pour le dollar et 25,3 % pour le yen.

Toutes les autres monnaies ont le comportement symétrique : elles présentent des excès de rendements positifs sur longue période et négatifs pendant les crises ; les pertes sur toutes ces monnaies sont encore accentuées pendant les crises les plus sévères. C’est notamment le cas de l’euro. La monnaie unique a eu tendance à se déprécier pendant les pics de volatilité de 2010 et 2012 car ceux-ci ont été précisément engendrés par les craintes d’un défaut souverain à l’intérieur même de la zone et les risques de contagion qui auraient pu en résulter.

Malgré son appréciation tendancielle, le franc suisse n’apparaît pas non plus comme une valeur refuge, car il a tendance à suivre les mouvements de l’euro, tendance qui s’est accentuée depuis septembre 2011 avec l’instauration d’un taux de change fixe CHF/EUR ; au total un placement en franc suisse faire perdre 0,9 % contre le DTS en moyenne annualisée sur les périodes de crise. La livre sterling présente aussi des rendements très négatifs pendant les crises (-5 %) et encore plus lors des crises plus sévères (-28,5 %). Quant aux dollars canadien, australien et néo-zélandais, leurs excès de rendements confortables sur longue période (respectivement de 3,1 % ; 6,3 % et 6,3 %), s’accompagnent de pertes drastiques pendant les crises (-28,0 %, -30,5 %, -31,5 % pendant les crises sévères.

Ces résultats sont confirmés par une estimation économétrique non linéaire qui mesure la réaction des devises aux variations du VIX, et permet d’estimer le seuil de volatilité de manière appropriée plutôt que de le fixer arbitrairement. Le dollar et le yen sont bien les seules monnaies à s’apprécier lorsque le VIX augmente, même lorsque le seuil de volatilité critique est dépassé.


Graphique – Excès de rendement à 1 mois de monnaies* par rapport au DTS, en  % moyen annualisé, sur la période totale 1999-2013, pendant les crises (périodes où le VIX est supérieur à 30) et pendant les crises sévères (VIX supérieur à 40)
 

* en ordre de rendements décroissants pendant les crises : yen (JPY), dollar (USD), franc suisse (CHF), euro (EUR), livre sterling (GBP), dollar canadien (CAD), dollar australien (AUD) et dollar néo-zélandais (NZD).

Source : Virginie Coudert, Cyriac Guillaumin & Hélène Raymond , 2014.

Référence :
Virginie Coudert, Cyriac Guillaumin & Hélène Raymond , 2014. "Looking at the Other Side of Carry Trades: Are there any Safe Haven Currencies?", CEPII Working Paper 2014-03, February 2014, CEPII.

Monnaie & Finance 
< Retour