Le blog du CEPII

Les taux d’intérêt extrêmement bas sont-ils favorables ou un frein à l’essor du crédit ?

En dépit de conditions très avantageuses, la demande de crédit est atone dans tous les domaines en France. Mais l’offre des banques manque elle-même de vigueur.
Par Jean-Pierre Patat
 Billet du 9 janvier 2015


Les dernières enquêtes sur le coût du crédit en France montrent une nouvelle baisse des taux débiteurs, suite à la diminution à un niveau proche de zéro (0,15) du principal taux directeur de la BCE : le découvert consenti à une entreprise coûte 4,92 % pour un crédit d’un montant compris entre 45 000 et 76 000 euros. Une entreprise peut financer l’acquisition d’un camion (crédit à court terme d’un montant compris entre 45 000 et 76 000 euros) à un taux de 2,77 %. Quant aux crédits de montants plus élevés, ils peuvent être consentis à moins de 2 %. Les crédits finançant les acquisitions immobilières sont consentis à un taux moyen de 2,60 %. Les enquêtes sur le coût du crédit de la BCE montrent que, dans l’ensemble, les taux débiteurs pratiqués par les banques françaises sont plus bas que les taux pratiqués dans les autres pays de la zone euro, confirmant une pratique de marge relativement resserrée sur l’activité de distribution du crédit. Compte tenu des charges que les banques françaises supportent par ailleurs spécifiquement, du fait d’une circulation encore importante de petits chèques (encouragée par la gratuité de la délivrance des chéquiers et par une législation imposant aux établissements de crédits de garantir en toutes circonstances le paiement des chèques d’un montant égal ou inférieur à 15 euros), elles se rattrapent sur d’autres postes, en particulier les « commissions » et « frais » divers qui mettent en fureur les associations d’usagers, insensibles aux avantages dont jouissent par ailleurs dans des domaines essentiels pour l’économie, les utilisateurs des services bancaires.

Les taux demeurent cependant souvent contrastés selon le montant du crédit, témoin à peu près fiable de la taille de l’entreprise demanderesse. Ainsi, pour un découvert de moins de 15 000 euros, le taux d’intérêt est de 9,86 %, deux fois plus que pour celui d’un montant de 45 000 à 76 000 euros. Toutefois, si la petite entreprise recourt à l’escompte, elle ne paiera que 2,93 % pour une opération d’un montant égal ou inférieur à 15 000 euros.

En dépit de ces conditions très avantageuses, la demande de crédit est atone dans tous les domaines. Mais l’offre des banques manque elle-même de vigueur.

Quoiqu’on dise, les nouvelles règles de Bâle 3 n’encouragent guère la prise de risque, ce qui est pourtant à la base du métier de banquier. Les taux très bas impliquent en outre un niveau d’activité, c’est-à-dire un volume de distribution de crédit extrêmement élevé pour que l’ensemble des produits équilibre l’ensemble des charges de la banque (point mort global). Or ce niveau très élevé est clairement inaccessible aujourd’hui. Dans ces conditions les banques préfèrent acquérir ou souscrire des obligations émises par les entreprises, mieux traitées par les ratios de Bâle et engendrant moins de coûts fixes qu’un dossier de crédit, si bon soit-il. Un comportement qui rejoint celui des entreprises qui se tournent davantage vers le marché obligataire, plus avantageux encore que le crédit bancaire, que vers les banques. En un an, les émissions des entreprises sont passées de 150 milliards à 257 milliards d’euros. Les grandes entreprises bien sûr, mais aussi de plus en plus d’entreprises de taille moyenne recourent au marché dont les conditions d’accès ont été assouplies (le seuil de chiffre d’affaire nécessaire pour émettre des emprunts obligataires a été abaissé de 200 à 5 millions d’euros).

Quant aux petits crédits, il se pourrait que les taux actuels ne soient pas toujours considérés comme suffisants pour couvrir les risques de défaut et les frais engendrés par leur étude. Là encore, il faudrait une masse d’opérations pour équilibrer les charges. Dans ces conditions, les banques privilégient les bons du trésor et les obligations d’État, dont les taux sont insignifiants - 0,235% à 5 ans, les échéances inférieures ayant des taux négatifs, 0,89 à 10 ans, 1,85 à 30 ans - mais tellement plus sûrs et n’engendrant aucun frais fixes.

Les masses de liquidité offertes aux banques par la BCE pourraient contribuer à ce mouvement puisque tout achat de titres d’État nécessite de détenir de la monnaie centrale (ce qui n’est pas le cas pour un crédit à l’économie). L’essor du marché obligataire, privé et public et le niveau des taux procèdent également de cette abondance de liquidités, censée redynamiser l’offre de crédits, mais qui pourrait bien être contre-productive. 
Monnaie & Finance 
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