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L’économie mondiale 2018 : quelques hirondelles feront-elles le printemps ?

Le 21 septembre, l’ouvrage annuel du CEPII, L’économie mondiale 2018, publié par La Découverte dans sa collection Repères, sera dans toutes les bonnes librairies.
Par Isabelle Bensidoun, Jézabel Couppey-Soubeyran, Grégoire Elkouby
 Billet du 30 août 2017


Son équipe de rédaction vous en dévoile, dès à présent, quelques-uns des principaux enseignements.
Le 6 septembre le CEPII a organisé la conférence de présentation de cet ouvrage.
Pour voir les vidéos de la conférence, cliquez ici.
 

Cette édition 2018 de L’économie mondiale, qui marque les dix ans de la crise financière, est-elle aussi sombre que celle des dernières années ?

Bien moins ! Que les lecteurs de L’économie mondiale 2018 se rassurent, cette année enfin la morosité n’est plus de mise ! Plusieurs clignotants sont passés au vert : pour la première fois depuis 2010 la reprise concerne les économies avancées et les économies émergentes, le chômage recule et la menace de déflation paraît s’éloigner. Il faut dire que la demande est enfin sortie de sa léthargie, entraînant avec elle le prix des matières premières et les échanges internationaux de marchandises. Même les évènements porteurs d’incertitudes, au premier rang desquels l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et le « oui » au Brexit, n’ont pas provoqué les réactions sur les marchés financiers initialement imaginées. Quant au ciel européen, il apparaît enfin plus dégagé. Du côté des grands émergents, la Chine fait mieux que prévu, le Brésil et la Russie sortent la tête de la récession et l’Inde affiche une croissance fringante. De quoi se sentir d’humeur printanière !

Est-ce à dire que les inquiétudes des années passées sont désormais dissipées ?

On aimerait bien qu’il en soit ainsi, mais le printemps n’est pas l’été et à cette saison le ciel peut toujours changer. Car les performances qui viennent d’être évoquées sont moins remarquables en elles-mêmes, qu’en comparaison de celles auxquelles la crise financière nous avait habitués depuis dix ans. Certes, dans les économies avancées, l’inflation remonte, mais la dynamique de l’inflation sous-jacente reste faible. Savoir si ces évolutions vont définitivement emporter avec elles la menace de déflation n’est pas chose aisée, mais les risques de la voir se réaliser sont, cette année, moins grands qu’ils ne l’étaient l’an passé. Reste que l’économie mondiale est toujours enfermée dans un cycle d’endettement qui ne s’est pas atténué depuis la crise, bien au contraire. Le ratio dette (privée et publique) sur PIB a, en effet, continué de progresser aussi bien dans les économies avancées que dans les économies émergentes. Dans ce contexte, nous rappelle Sébastien Jean, le potentiel déstabilisateur de politiques macroéconomiques américaines mal calibrées ou mal contrôlées est immense. Une remontée significative de l’inflation et des taux d’intérêt outre-Atlantique, combinée à une hausse du dollar, pourrait mettre à mal une reprise encore fragile.

Cela signifie-t-il que dix ans après la crise, les excès de la finance ne sont toujours pas purgés ?

Comme l’explique Michel Aglietta, on est passé au tournant des années 1980, d’un capitalisme contractuel fondé sur la négociation collective, des transferts sociaux diversifiés et une régulation financière très stricte, à un capitalisme financiarisé, placé sous l’égide de l’essor continu de la finance. Dans ce contexte, la demande d’actifs financiers et le recours à l’endettement se sont généralisés à l’ensemble des acteurs de l’économie (entreprises, ménages, États). L’économie globale s’est alors retrouvée soumise au cycle financier et à son ample mouvement d’expansion qui nourrit l’euphorie et fait perdre de vue la phase de repli qui fatalement s’ensuit. Pour purger définitivement la finance de ses excès, il faudrait, de la même manière que la dérive inflationniste avait mis fin au capitalisme contractuel, qu’un nouveau régime de croissance émerge au terme de la crise financière enclenchée en 2007-2008. Mais une telle mutation ne se fera pas sans peine. Car il s’agit rien de moins que rétablir la puissance publique dans ses fonctions et transformer les systèmes démocratiques pour faire face aux enjeux collectifs que sont le climat et, plus généralement, la gestion des biens communs. Cette mutation ne se fera pas non plus sans une profonde transformation du système financier. Mais les avancées en la matière sont encore trop timides pour en finir avec une finance au service d’elle-même, et pour la remettre enfin au service des investissements de long terme dont l’économie a besoin.

A ce propos, les paradis fiscaux sont aussi emblématiques d’une finance dévoyée, qui plus est au service de l’évasion fiscale. Est-on désormais résolus à lutter contre ?

S’il est un domaine où la crise a fait prendre conscience de la nécessité d’agir, c’est bien celui des paradis fiscaux. Le coût de l’effondrement financier supporté par les contribuables et les révélations sur les sommes astronomiques cachées dans les paradis fiscaux ont rendu l’évasion fiscale intolérable. Ce sont, d’après l’ONG Tax Justice Network, 21 000 milliards de dollars de richesse privée, soit l’équivalent des PIB des États-Unis et du Japon réunis qui seraient logés dans les paradis fiscaux ! Malgré le manque de données (secret des affaires oblige), les lanceurs d’alertes ont éclairé les pratiques de multinationales qui transfèrent une partie significative de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux pour échapper à l’impôt, aidées en cela par les banques qui jouent un rôle essentiel d’intermédiaire. Engagée en 2012 par les dirigeants des pays du G20, puis menée depuis 2015 par l’OCDE, la lutte contre les paradis fiscaux a connu en 2016 une nouvelle avancée avec le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés de la Commission européenne (ACCIS). Ces initiatives visent à favoriser la transparence et à faire en sorte que l’impôt soit payé dans le pays où l’activité économique est réalisée. Mais, comme le relève Anne-Laure Delatte, la tâche n’est pas si simple. Cet agenda d’utilité publique se heurte, en effet, aux intérêts nationaux et privés qui entravent la coopération entre pays. Seule une pression constante de la société civile pourra faire pencher la balance du bon côté.

L’année qui vient de s’écouler n’a pas été avare en bouleversements avec les différentes échéances électorales qui ont vu s’affirmer les velléités protectionnistes et la montée des nationalismes. La démondialisation est-elle en marche ?

Il est vrai que cette année a été particulièrement agitée et que la contestation de la mondialisation a pris une nouvelle dimension. Alors qu’elle semblait jusque-là cantonnée aux contestataires patentés, elle s’est invitée à toutes les échéances électorales, jusqu’à gravir les marches du pouvoir et porter le premier coup de canif au processus d’intégration européen. Pour autant, nous dit Sébastien Jean, la démondialisation n’aura pas lieu, tant un retour en arrière serait coûteux, tant certains des ressorts de la mondialisation sont irréversibles, et tant la communauté mondiale est liée par un destin commun que ce soit pour préserver la biodiversité, lutter contre le réchauffement climatique ou l’optimisation fiscale. Il n’en demeure pas moins que la réalité de la mondialisation n’est plus la même que celle qui prévalait avant la crise. Le monde est désormais multipolaire, ce qui ne va pas sans poser problème au cadre institutionnel international hérité de l’après-guerre. Le numérique gagne de l’importance comme moteur de croissance et vecteur d’influence, ce qui ne manque déjà pas de créer des tensions autour de la question de la libre circulation des données et de la cybersécurité. Mais surtout, c’est à une réaffirmation de l’emprise du politique sur l’économique que l’on assiste avec la disparition de la domination sans partage des États-Unis et, son corollaire, le retour d’une logique de puissances structurée par le triangle Russie-Chine-États-Unis.

Pas de démondialisation donc. Pourtant le « oui » au Brexit a bien été, comme vous l’évoquez, la manifestation d’une défiance à l’égard de la mondialisation et un vecteur de désintégration à l’échelle européenne ?

Cela est vrai. Comme l’analyse Vincent Vicard, le vote en faveur du Brexit s’inscrit dans un moment politique, celui d’un large mouvement de défiance envers la mondialisation, qui déborde les frontières du Royaume-Uni. Cette contestation du processus de libéralisation commerciale renvoie plus fondamentalement à la question de la souveraineté. La mondialisation comme d’autres formes d’intégration, en l’occurrence l’intégration européenne, sont interprétées par leurs pourfendeurs comme une mise en péril de la souveraineté nationale. En amont de cette question, se pose plus prosaïquement celle du coût du Brexit : pour le Royaume-Uni ? Pour l’Union européenne ? Bien sûr, les modalités de sortie sont encore floues, et selon que les négociations aboutiront ou non à un accord commercial classique, l’incidence sur le commerce et le revenu des Britanniques et des Européens sera sensiblement différente. Quoi qu’il en soit, les estimations de Vincent Vicard ne corroborent pas les prévisions catastrophistes qui n’ont pas manqué d’accompagner l’annonce de cette décision. Elles font néanmoins envisager des coûts plus élevés pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne.

Le Brexit montre ainsi que la désintégration ne sera pas sans coûts en matière de commerce et de revenus. Mais, le plus souvent, ce que ses détracteurs reprochent à la mondialisation ce sont surtout ses effets sur l’emploi !

Tout à fait. A cet égard, pendant longtemps la réponse des économistes a été de considérer que c’était plus le progrès technique que la mondialisation qui conduisait à des pertes d’emploi. Désormais, on analyse mieux les liens entre ces deux phénomènes qui se renforcent l’un l’autre et surtout leur impact, non pas tant sur le niveau, mais sur la structure de l’emploi. Sous l’effet conjugué de la mondialisation et des nouvelles technologies, le marché de l’emploi s’est, en effet, polarisé comme le soulignent Farid Toubal et Ariell Reshef. Les emplois à revenus intermédiaires tendent à disparaître, tandis qu’aux deux extrémités de l’échelle des salaires les parts des emplois peu qualifiés et très qualifiés dans l’emploi total s’accroissent. Cette polarisation reflète le fossé entre les gagnants et les perdants des mutations commerciales et technologiques, qui ne se réduira pas sans des politiques publiques actives de formation et de redistribution.

C’est donc une édition globalement plus optimiste, mais qui ne tait pas les fragilités, les tensions et les lignes de failles de nos économies. Le contexte géopolitique participe-t-il à ces tensions ?

C’est peu de le dire. Ce contexte géopolitique est marqué par la volonté de repli du président américain, celle du président chinois de rétablir l’empire du Milieu, ainsi que par l’ambition internationale du président russe. Comme l’analyse Sébastien Barbé, cette ambition a, en Russie, pris le pas sur les réformes économiques à mener pour diversifier l’économie et installer un régime de croissance qui ne dépende plus autant de la rente énergétique. Les obstacles tenant à la structure du capitalisme russe et aux dysfonctionnements institutionnels rendent étroit le chemin des réformes. Pour le frayer, il faudra une incitation forte, que celle-ci vienne d’un président résolu à laisser sa trace, des manifestations de frustration d’une population poussant l’exécutif à l’action, ou de l’inconfort économique que provoquerait un prix du pétrole durablement bas.
Politique économique 
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