Le blog du CEPII

L’économie mondiale 2020 : ralentissement sous haute tension

Le 12 septembre, l’ouvrage annuel du CEPII, L’économie mondiale 2020, publié par La Découverte dans sa collection Repères, sera dans toutes les bonnes librairies. Son équipe de rédaction vous en dévoile, dès à présent, quelques-uns des principaux enseignements.
Par Isabelle Bensidoun, Jézabel Couppey-Soubeyran
 Billet du 20 août 2019


Le 11 septembre, le CEPII vous invite à la conférence de présentation de cet ouvrage : pour vous inscrire cliquez ici.
 

Cette édition 2020 de L’économie mondiale confirme-t-elle les doutes de l’an passé ?

Oui, absolument. L’embellie de l’an passé a fait long feu. La croissance mondiale ralentit et ne devrait atteindre que 3,3 % en 2019, après 3,6 % en 2018. Même les États-Unis ne sont pas épargnés : après 2,9 % en 2018, la croissance devrait y fléchir à 2,3 % en 2019. Dans ce contexte, la normalisation des politiques monétaires, surtout celle de la Fed, est interrompue et, avec elle, la remontée des taux d’intérêt. Il faut dire que l’inflation ne décolle pas, les taux longs sont au plus bas et l’endettement au plus haut. De quoi se demander si, dans ces nouveaux régimes de croissance, il ne faudrait pas reconsidérer les atouts des politiques budgétaires. Dans un contexte de taux bas et pour soulager les politiques monétaires dont les marges de manœuvres sont bien étroites, une relance budgétaire pourrait soutenir la demande et répondre aux besoins d’investissement que l’urgence climatique réclame. Une révolution dans l’analyse macroéconomique, pour Sébastien Jean, qui n’est pas encore arrivée à son terme. En matière de coordination internationale, là aussi, force est de constater que les anciens cadres ne fonctionnent plus. En témoignent les tensions géopolitiques et commerciales qui ont ponctué l’année qui vient de s’écouler ou les interrogations que l’on peut avoir sur l’architecture du système monétaire international quand le dollar se transforme en outil de coercition. Mais pour le moment les nouveaux cadres n’ont pas encore été inventés. Pourtant, il y a urgence, car c’est dans cet entre-deux que les menaces sont à leur comble.

S’il est un domaine où les tensions ont cette année rythmé l’actualité, c’est bien le domaine commercial avec Donald Trump en figure de proue. Le système commercial international qui prévalait jusque-là est-il dès lors remis en cause ?

Le protectionnisme de Donald Trump n’est pas une surprise. Il était annoncé. Mais il est vrai qu’il s’est radicalisé cette année. Si l’on y ajoute les désengagements de l’accord de Paris puis de l’Unesco il y a deux ans et de l’accord de Vienne l’an dernier, c’est l’ensemble de l’ordre international qui est déstabilisé. Du pur point de vue commercial, c’est désormais la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine qui mène la danse, là où auparavant c’était l’OMC le maître de ballet.

Pour saisir pourquoi il en est ainsi, au-delà du goût immodéré de Donald Trump pour le protectionnisme, il faut se retourner sur les métamorphoses du commerce mondial depuis la création de l’OMC.

C’est ce que fait Sébastien Jean. Il nous enseigne alors que les cartes du commerce et, avec elles, celles de la puissance économique mondiale ont été rebattues au profit des pays émergents, au premier rang desquels la Chine. Cette nouvelle donne se traduit par un retournement des avantages comparatifs. Ceux qui façonnaient le commerce des économies avancées, quand les accords commerciaux multilatéraux ont été négociés, sont désormais davantage l’apanage des économies émergentes, tandis que ceux des économies avancées portent pour beaucoup sur des domaines où la libéralisation est bien moins avancée : accès aux marchés des services, protection de l’investissement et des technologies, droits de la propriété intellectuelle. Les accords hérités du passé qui, en leur temps, avaient pu être jugés équilibrés par les pays riches ne le sont plus. En outre, ils agissent sur l’OMC comme un fardeau qui rend sa réforme difficile.

Le multilatéralisme trébuche, la mondialisation est de plus en plus controversée, mais l’on continue de signer des accords de libre-échange. Est-ce bien raisonnable ?

Pour le savoir, il faudra lire L’économie mondiale 2020 où Cécilia Bellora et Jean Fouré se sont attachés, pour favoriser la transparence et la qualité du débat public, à rendre accessible le fonctionnement et les résultats des modèles sur lesquels s’appuient les analyses d’impact réalisées au moment où ces accords sont discutés. Pour ce faire, ils en présentent les effets sur le commerce, la production, la consommation, l’environnement, mais aussi ce que ces modèles permettent d’éclairer et ce qu’ils laissent dans l’ombre. Après, à chacun de se faire son idée. Mais rien de tel qu’une idée éclairée s’il s’agit d’être guidé par la raison.

Cette coopération internationale qui chancelle constitue à n’en pas douter un sérieux obstacle à l’accélération de la transition écologique. Mais alors comment répondre à l’urgence climatique ?

Effectivement, alors que les tensions sont au plus haut et la coordination internationale en lambeaux, il faut sauver un bien commun mondial, le climat. Sans une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, l’objectif de l’accord de Paris d’un réchauffement « bien en-dessous des 2°C » à l’horizon 2030 sera hors de portée. Dominique Bureau appelle à renforcer l’action précoce d’atténuation des émissions, tout en déplorant que les scénarios les plus probables soient ceux où l’effort est reporté, en comptant naïvement sur le développement de nouvelles techniques de capture et de stockage du CO2. La solution économique face à l’urgence climatique est d’établir dans la durée un prix du carbone à la hauteur des enjeux. La fiscalité et les marchés des droits à polluer sont deux moyens quasi équivalents d’y parvenir que le débat public oppose pourtant souvent. Quoi qu’il en soit, les cadres de coopération, qui devraient constituer une priorité pour mettre partout en place ces instruments, seront extrêmement difficiles à établir. S’impose aussi une meilleure articulation entre régulation commerciale et régulation environnementale. Et là aussi, ce sera compliqué.

Côté finance, faut-il aussi s’inquiéter d’une prochaine crise ?

Ce qui est très inquiétant c’est que, plus de dix ans après la crise de 2007-2008, les fragilités financières perdurent. Michel Aglietta revient sur les ressorts de cette instabilité inhérente au système financier. Celle-ci est le fruit d’une dynamique cyclique auto-renforçante, sous la dictature de la liquidité. Tandis que les cycles financiers sont aujourd’hui dans la plupart des économies avancées en phase d’expansion, les déclencheurs possibles d’un retournement ne manquent pas : un ralentissement de la croissance globale plus sévère qu’attendu, un resserrement non anticipé des politiques monétaires, des rivalités commerciales prolongées, un Brexit chaotique... Plus structurellement, trois types de fragilités financières sont identifiés : l’endettement élevé des entreprises dans les économies avancées, particulièrement aux États-Unis ; le regain du cercle vicieux entre banques et finances publiques en zone euro, particulièrement en Italie ; les vulnérabilités du crédit en Chine et dans les pays émergents face à des investisseurs internationaux devenus plus moutonniers. Pour prévenir cette fragilité systémique et garantir la résilience économique, il faut un cadre macrofinancier englobant, articulant les outils monétaire, budgétaire et macroprudentiel. Il n’existe toujours pas et sans lui nous ne sommes pas à l’abri d’une prochaine crise. 

La normalisation des politiques monétaires non conventionnelles ne devrait-elle pas permettre d’apaiser un peu les tensions sur ce plan ?

Cela aurait pu être le cas il y a un an, mais cette normalisation, que la Fed avait commencé à opérer, est clairement mise en stand-by depuis plusieurs mois, avec en toile de fond le ralentissement de l’économie autant que les pressions de Donald Trump. L’heure est, à nouveau aux États-Unis, et encore en Europe, aux politiques monétaires accommodantes. Et à un horizon un peu plus long, comme tout laisse penser que les taux d’intérêt vont rester structurellement bas, le retour aux politiques monétaires d’avant crise n’est guère envisageable pour Jézabel Couppey-Soubeyran et Fabien Tripier. Le non-conventionnel va donc entrer dans la norme, ce qui n’est pas sans poser problème à la stabilité financière. C’est pour cela que la politique monétaire va devoir évoluer, non pas tant en modifiant ses cibles qu’en s’articulant à la politique macroprudentielle, afin de mieux concilier stabilité monétaire et stabilité financière. Sans cela oui la crise financière adviendra, et peut-être encore plus violemment qu’en 2007-2008.

Le dernier chapitre de l’ouvrage est traditionnellement consacré à un pays émergent. Lequel cette année ?

Cap sur la Turquie cette année, car le pays est en pleine tourmente économique et politique. Patrice Rötig et Deniz Ünal jugent la crise actuelle plus profonde que celle de 2001 et l’attribuent à une désinstitutionnalisation généralisée de la gouvernance du pays. Sa gestion se révèle, selon eux, pour le moins hétérodoxe et aggravante, avec des pressions fortes sur les entreprises pour qu’elles n’augmentent pas leurs prix, sur les banques publiques pour qu’elles accordent des crédits à perte, sur la Banque centrale pour qu’elle maintienne les taux d’intérêt à un niveau bien trop bas pour contenir l’inflation, sur l’Agence de régulation et de supervision bancaire pour qu’elle dicte aux banques les taux d’intérêt à appliquer. La discipline budgétaire se relâche, la fragilité financière s’aggrave, avec un endettement privé extérieur croissant, une livre turque qui se déprécie et un risque élevé de fuites brutales de capitaux. Le tout dans un contexte géopolitique marqué par de vives tensions régionales et internationales. Autant dire que la double crise économique et politique turque pourrait prendre un tour véritablement systémique.

Pour le moins anxiogène donc cette édition 2020. Mais notre rôle est d’éclairer le débat public, en alertant quand il le faut !

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