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Comités budgétaires indépendants, l’exemple suédois

Alors que la France va se doter d’un Haut Conseil des Finances Publiques, il est intéressant de s’interroger sur ce que font les autres pays industrialisés qui ont déjà mis en place des autorités indépendantes dans le domaine budgétaire. L’exemple suédois est riche d’enseignements.
Par Christophe Destais
 Billet du 17 octobre 2012


Le projet de loi organique qui tire les conséquences en droit français interne du traité budgétaire européen est en discussion au Parlement. Ce projet institue un Haut Conseil des Finances Publiques et précise les modalités de son intervention. Des règlements d’application viendront le compléter pour lesquels les pouvoirs publics disposeront d’une certaine marge de manœuvre, sauf à ce que le Conseil Constitutionnel qui sera saisi de la loi avant sa promulgation ne décide de restreindre ces marges en précisant comment les dispositions de la future loi organique doivent être interprétées. Le moment est donc opportun de s’interroger sur ce que font les autres pays industrialisés qui ont déjà mis en place des autorités indépendantes dans le domaine budgétaire. L’exemple suédois dans le domaine est riche d’enseignements.

Depuis 2000, la Suède s’est dotée d’une « règle d’or » qui comprend à la fois un objectif de surplus de 1% du PIB  sur la durée du cycle économique pour la totalité du secteur public, un plafond des dépenses du gouvernement et l’obligation pour les finances locales d’être en équilibre. Ce n’est toutefois qu’en 2007 qu’un Conseil de la politique budgétaire a parachevé cet édifice avec la création d’un Conseil de Politique Budgétaire à la suite de l’arrivée au pouvoir l’année précédente d’une coalition libérale-conservatrice. L’opposition de gauche,  initialement hostile à cette nouvelle institution, s’y est finalement ralliée.

Indépendant, le Conseil est placé auprès du Ministère des Finances et non du Parlement qui chapeaute directement la Banque Centrale et le Comité d’Audit des Finances Publiques. Il est composé de 6 membres, quatre universitaires, dont un norvégien, et des anciens responsables de la politique économique du pays et d’un petit secrétariat de cinq collaborateurs au total, dont trois économistes. Les membres du Conseil ne doivent pas avoir de contacts informels avec le gouvernement. Après une première nomination par les autorités suédoises, ils se cooptent en veillant au maintien de l’équilibre entre les universitaires et les policy makers, à ce qu’un d’entre eux soit un étranger (nécessairement une personne qui maîtrise une langue scandinave car elle doit pouvoir lire les documents budgétaires en suédois) et à ce que la composition soit la plus proche possible d’une représentation paritaire des genres.

Le Conseil a cinq missions. La première est d’évaluer si la politique budgétaire atteint les objectifs qui lui sont fixés : la soutenabilité de long-terme, la cible de surplus budgétaire sur la durée du cycle économique, le plafond des dépenses du gouvernement et la stabilité macroéconomique. Le second est d’évaluer si les développements récents sont « en ligne » avec un niveau de croissance et d’emploi élevé mais soutenable. La troisième est de contrôler la transparence des propositions budgétaires  du gouvernement et leurs motivations. La quatrième est d’analyser les effets de la politique budgétaire sur la distribution de la richesse. Finalement, le Conseil doit contribuer à la discussion de politique économique générale.

Le Conseil n’a pas de compétence opérationnelle ou de pouvoirs exécutoires. Simplement, celui de la parole. Dans son dernier rapport, publié au printemps 2012, le Conseil adresse un satisfecit à la politique budgétaire qui se situe bien dans le cadre qui lui est imposé (surplus sur la durée du cycle, plafond des dépenses du gouvernement). Il relève également une série de problèmes : une communication insuffisante du gouvernement sur l’articulation entre sa politique et les règles budgétaires et, plus important, des mesures excessivement restrictives qui conduisent à amplifier le cycle économique. Le Conseil a également mis en garde le gouvernement contre les risques liés à l’augmentation des prix immobiliers et préconisé la mise en place d’un cadre macro-prudentiel et d’un renforcement de la supervision financière pour prévenir les risques que cela fait courir à l’économie. Le Conseil a aussi critiqué la baisse de la TVA dans la restauration qui s’est inspirée de l’exemple français…

Sur la question délicate de la frontière entre la politique monétaire et la politique budgétaire, le Conseil de Politique Budgétaire suédois s’interdit de commenter les décisions de politique monétaire de la banque centrale suédoise, la Riksbank. En revanche, il estime que la situation financière des banques et des autres institutions financières représente un risque budgétaire potentiel pour l’Etat et il s’autorise donc à s’exprimer sur les questions macro-prudentielles et de supervision bancaire.  

La situation économique de la Suède est très éloignée de celle de la France. Ce pays a connu une très grave crise financière, budgétaire et économique au début des années 90 mais son économie s’est redressée de manière spectaculaire grâce à la fois à des politiques économiques très efficaces et à un contexte international, au milieu des années 90, bien plus favorable qu’il ne l’est aujourd’hui. Malgré les crises, la Suède continue toutefois à afficher des performances macroéconomiques insolentes, avec un budget proche de l’équilibre, une croissance cumulée entre 2002 et 2011 de près de 25%, plus du double de la zone euro, et une inflation maîtrisée quoique supérieure aux niveaux français ou allemands. Le niveau relatif de sa dette publique (38,4%  du PIB en 2011) a baissé depuis 2007 quand il augmentait de plus de 15% en France et de plus de 30% aux Etats-Unis.

L’enjeu associé à la création  et au fonctionnement d’un Conseil de Politique Budgétaire n’est donc pas le même dans les deux pays. D’ailleurs, si la Suède a signé le traité européen, il ne lui sera applicable que si et quand elle rejoindra la zone Euro, une perspective aujourd’hui hautement incertaine. En outre, il y a en Suède une identité entre le champ de la souveraineté monétaire et celui de la souveraineté budgétaire. Néanmoins, quelques leçons utiles peuvent être tirées de cet exemple. D’abord, les « technocrates » ne se substituent pas aux représentants du peuple qui conservent la complète maîtrise du processus budgétaire. Ils se contentent d’émettre des opinions indépendantes et publiques. Ensuite, le Conseil ne se mêle pas de prévision macroéconomique. Il estime ne pas en avoir les moyens mais surtout que le jeu n’en vaut pas la chandelle puisque toute contestation des prévisions officielles ne peut que se terminer en querelles d’expert. Sa stratégie à ce sujet est de comparer les prévisions du gouvernement à celles des autres prévisionnistes. En revanche, le Conseil commande des projections à très long terme pour pouvoir apprécier la soutenabilité des finances publiques, notamment en ce qui concerne le versement des retraites (les comptes du système de retraite publique suédois s’équilibrent automatiquement mais il existe un risque politique si le taux de remplacement des revenus (aujourd’hui environ 65%) baisse trop.

Finalement, la culture politique suédoise est très favorable à l’institution. La Suède est dotée d’une forte culture de consensus, l’économie tient une grande place dans le débat public et… les économistes occupent dans ce débat une place beaucoup plus importante qu’en France.


Une réunion co-organisée par le Club du CEPII et l’Ambassade de Suède le 9 octobre dernier nous invitait à réfléchir sur le « modèle suédois » dans ce domaine. Elle a donné la parole à Lars Jonung, Président du Conseil Budgétaire suédois et Professeur à l’Université de Lund, Hubert Kempf, Professeur à l’Université de Paris 1 et à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, et à François Ecalle, Conseiller Maître à la Cours des Comptes. Cliquez ici pour retrouver le programme complet de la conférence. 
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