Le blog du CEPII

Les défis de l’économie japonaise à l’heure du changement de gouvernement

Le nouveau Premier ministre, issu du Parti libéral démocrate, va devoir s’attaquer à trois dossiers majeurs pour l’avenir de l’Archipel : la relance de l’économie domestique, la dynamisation du commerce extérieur et la mise en place d’une nouvelle politique énergétique.
Par Evelyne Dourille-Feer
 Billet du 20 décembre 2012


Les élections législatives du 16 décembre 2012 ont mis fin à la première véritable alternance politique qu’ait connu le Japon depuis le milieu des années 1950. En août 2009, les électeurs japonais s’étaient massivement détournés du Parti libéral démocrate (PLD, centre droit), au pouvoir depuis 1955. Déçus par la gestion économique et sociale du PLD (faible dynamisme économique, montée rapide de la précarité et des inégalités, insuffisance des politiques d’accompagnement du vieillissement), ils avaient porté au pouvoir le Parti démocrate du Japon (PDJ, centre gauche) sur le score sans appel de 308 sièges sur 480 à la Chambre des députés.
 
Le PDJ était alors porteur d’un immense espoir de changement économique et social avec son programme de recentrage de la croissance sur la demande des ménages grâce à une forte augmentation des transferts sociaux. Toutefois, les coups de boutoirs des crises internes et externes, les marges budgétaires trop réduites pour appliquer l’ensemble des promesses de campagne ainsi que la gestion contestée de la crise nucléaire, de la réforme fiscale introduisant le doublement de la TVA et de plusieurs dossiers diplomatiques ont conduit les électeurs à se tourner à nouveau vers le Parti libéral démocrate.
 
Bien que le PLD détienne désormais une large majorité à la Chambre des députés avec 294 sièges, il reste minoritaire au Sénat et son score élevé aux législatives est surtout l’expression d’un vote de défiance des électeurs à l’égard de la majorité sortante. Le Président du PLD, Shinzo Abe, qui devrait être désigné comme Premier ministre lors de la session parlementaire extraordinaire du 26 décembre, va devoir s’attaquer à trois dossiers majeurs pour l’avenir de l’Archipel : la relance de l’économie domestique, la dynamisation du commerce extérieur et la mise en place d’une nouvelle politique énergétique.

Trois enjeux économiques prioritaires : croissance, déflation et niveau du yen

Après une contraction modeste de sa croissance en 2011 (-0,6 %) malgré la violence de la triple catastrophe du 11 mars, l’économie japonaise avait fortement rebondi au premier trimestre 2012 (5,7 % en rythme annualisé) grâce à la progression de la consommation des ménages et des dépenses publiques ainsi qu’à une reprise des exportations. Depuis lors, les dépenses publiques n’ont pu compenser la dégradation des exportations, ni le recul de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises. L’économie japonaise est donc entrée dans une phase de récession technique au sortir du troisième trimestre 2012 (graphique 1).

Source : SNA, ESRI, 10/12/2012

Pour sortir l’économie japonaise d’une spirale récessionniste et déflationniste, le PLD a prévu un programme de plans de relance totalisant environ 200 trillions de yen (1 820 milliards d’euros) sur 10 ans ainsi qu’une politique monétaire offensive combinant des injections massives de liquidités par la Banque du Japon et une cible d’inflation portée à 2 % contre 1 % actuellement. Ces mesures devraient non seulement relancer l’activité mais aussi mettre fin à la déflation et affaiblir le yen. Par ailleurs, les défis à relever pour la reconstruction des régions sinistrées restent gigantesques car il faut encore terminer les projets d’urbanisme, résoudre le problème de l’insuffisance des aires de stockage des déchets, mobiliser de la main d’œuvre et contrôler le bon usage des fonds alloués aux régions sinistrées.

La relance du commerce extérieur par les accords de libre échange et l’apaisement des conflits territoriaux

La lutte contre le yen fort est d’autant plus cruciale pour les exportations japonaises qu’elles sont déjà freinées par la crise européenne et le ralentissement économique des pays émergents, notamment de la Chine. De surcroît, les conflits territoriaux sino-japonais pénalisent gravement les exportations nippones. Comme les importations de matières premières énergétiques ont fortement augmenté pour compenser la baisse puis l’arrêt de la production d’électricité nucléaire depuis mars 2011, la balance commerciale devrait enregistrer en 2012 sa deuxième année consécutive de déficit.
 
Afin de dynamiser le commerce extérieur, le gouvernement du Premier ministre Yoshihiko Noda s’est engagé dans le processus de plusieurs négociations commerciales. Il a confirmé la participation du Japon aux négociations sur l’accord de Partenariat Trans-Pacifique (TPP –Trans Pacific Partnership- ou traité multilatéral de libre-échange entre les pays de la région Asie-Pacifique) et sur les accords de libre échange UE-Japon, Asean+6 (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Inde, Chine, Corée du Sud) et Chine-Corée du Sud Japon... D’autres accords de libre-échange, liés à la participation du Japon au TPP, se profilaient.
 
Le nouveau gouvernement du PLD apparaît plus circonspect sur le TPP et lie la participation du Japon au maintien de protections tarifaires dans certains secteurs, notamment dans le secteur agricole. Néanmoins, le Japon peut difficilement rester à l’écart de tels accords sans que ses entreprises ne soient pénalisées par rapport à celles des pays signataires. Le désamorçage de conflits territoriaux avec ses voisins est également crucial pour le commerce extérieur.
 
Depuis la seconde guerre mondiale, de nombreux conflits territoriaux ont pesé sur les relations diplomatiques du Japon avec la Russie (quatre îles Kouriles méridionales), la Corée du Sud (îles Takeshima-Dokdo) et la Chine (îles Senkaku-Diaoyu). Si les relations avec la Russie semblent s’améliorer, celles avec la Corée du Sud et la Chine dépendent de l’attitude du prochain Premier ministre japonais. Il est probable que, malgré la ligne nationaliste dure adoptée pendant sa campagne, le futur Premier ministre Shinzo Abe se montrera pragmatique et cherchera l’apaisement des conflits pour doper les exportations nippones.

L’épineux dossier de l’énergie nucléaire

L’avenir de l’énergie nucléaire fait partie des dossiers prioritaires du prochain gouvernement. Actuellement, deux réacteurs nucléaires sur 50 ont redémarré, ce qui oblige l’Archipel à importer des quantités massives d’énergies fossiles pour approvisionner les centrales thermiques dont la production électrique permet de pallier l’arrêt de presque toutes les centrales nucléaires [1] qui assuraient 30 % de la production d’électricité début 2011.
 
La substitution de centrales thermiques aux centrales nucléaires n’est pourtant pas viable à long-terme. Outre une pollution importante, elle induit des risques de pénurie d’électricité durant les périodes de pic de demande estivale et hivernale faute de capacités suffisantes, elle accélère les délocalisations en raison de l’augmentation du prix de l’électricité et elle déséquilibre la balance commerciale. L’adoption d’une nouvelle politique énergétique s’impose donc.
 
Face à une population majoritairement hostile au maintien de l’énergie nucléaire [2], le gouvernement Noda avait annoncé la sortie du nucléaire vers la fin des années 2030, assortie d’une montée en puissance des énergies renouvelables. Le programme du PLD prévoit de décider d’ici trois ans du redémarrage au cas par cas des centrales nucléaires qui auront été autorisées par la nouvelle autorité de réglementation nucléaire et de diminuer la dépendance au nucléaire pour un meilleur mix énergétique à l’horizon de dix ans. Ce programme demeure vague car si le PLD est traditionnellement pro-nucléaire, le nouveau gouvernement devra composer avec l’opinion publique...
 
D’après les estimations du politologue Kochi Nakano [3], seuls 30 % des électeurs soutiennent réellement le PLD. Comme les élections sénatoriales auront lieu en juillet 2013, le nouveau gouvernement devra se focaliser sur le dossier le plus important pour la population japonaise : l’amélioration de la situation économique. Il lui faudra très vite obtenir des résultats tangibles, faute de quoi, la popularité du prochain gouvernement pourrait décliner rapidement et introduire à nouveau une instabilité politique préjudiciable au redressement de l’Archipel.

 
[1] Pendant 2 mois (début mai-5 juillet 2012), tous les réacteurs nucléaires ont été à l’arrêt.
[2] Asahi poll: 57% of Japanese say no to nuclear power, December 13, 2011 http://ajw.asahi.com/article/behind_news/social_affairs/AJ201112130013
[3]  Professeur en sciences politiques à l’Université de Sophia.
http://www.japantoday.com/category/politics/view/huge-mandate-for-ldp-may-be-less-than-meets-the-eye
Politique économique 
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