Le blog du CEPII

Le retrait américain de l’Accord de Paris : de la suite dans le dédain

L’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris confirme les orientations affichées jusqu’ici par le Président Trump, marquées par le dédain pour les questions climatiques comme pour la coopération multilatérale.
Par Stéphanie Monjon
 Billet du 12 juin 2017


Alors que l’annonce était attendue lors du dernier sommet du G7, qui s’est tenu les 26 et 27 mai à Taormine (Italie), Donald Trump a préféré laisser passer quelques jours et être de retour aux États-Unis pour donner sa décision : le retrait du pays de l’Accord de Paris.
 
La décision peut surprendre. Une autre option existait dans la mesure où l’accord n’est pas juridiquement contraignant : un pays qui ne respecterait pas les engagements qu’il a annoncés ne serait exposé à aucune conséquence particulière[1]. Il était donc plutôt attendu que les États-Unis resteraient dans l’Accord de Paris, tout en menant, au niveau fédéral, une action minimale en matière de lutte contre le changement climatique. En choisissant le retrait, tout comme le calendrier de l’annonce, le président Trump cherche peut-être à démontrer à ses électeurs son indépendance – et également son dédain – vis-à-vis de ses partenaires du G7. De fait, l’importance symbolique et politique de cette décision est très grande.
 
Cette décision est néanmoins cohérente avec ses déclarations et décisions récentes. Au cours de sa campagne, Donald Trump avait été très offensif sur l’environnement en général, et sur le changement climatique en particulier. En 2012, il avait envoyé un tweet dans lequel il déclarait que le "concept de réchauffement climatique" avait été "créé par et pour les Chinois pour empêcher l'industrie américaine d'être compétitive". L’ensemble de ses déclarations récentes démontrent que sa position reste la même qu’auparavant. Pendant sa campagne, il avait également promis de sortir du traité international sur le climat qui avait été conclu lors de la 21e conférence des parties (COP21) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui s’est tenue à Paris fin 2015. Enfin, il avait choisi un vice-président, Mike Pence, connu pour des déclarations niant les faits climatiques.
 
Depuis son entrée en fonction, l’ensemble des décisions qu’il a prises ont confirmé ce positionnement sur la question climatique. Dès son intronisation, le 20 janvier, il a fait disparaître la rubrique "changement climatique" du site officiel de la Maison Blanche. Ensuite, il a nommé, à la tête des principales agences fédérales qui travaillent sur des données sur le climat et l'environnement et les diffusent, des climato-sceptiques avérés : l’ancien gouverneur du Texas, Rick Perry, au ministère en charge de l'Énergie et, surtout, Scott Pruitt à l’Agence Fédérale de protection environnementale ("Environmental Protection Agency", EPA). Le 9 mars 2017, dans un entretien donné à la chaîne CNBC, ce dernier déclarait que "les émissions de CO2 n'étaient pas un facteur déterminant dans le changement climatique". Or, l’EPA est l’agence en charge de la réglementation fédérale en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES).

Cette dernière a d’ailleurs été le bras armé du Président Obama pour définir et mettre en œuvre une politique climatique au niveau fédéral au cours de son deuxième mandat. Après l’échec de l’American Clean Energy and Security Act, qui devait notamment introduire un système de permis d’émissions couvrant les émissions des centrales électriques en 2009, Barack Obama a adopté une stratégie différente en utilisant son pouvoir exécutif sur ce dossier. En juin 2013, il annonce un plan d’action sur le climat ("Climate Action Plan") qui repose sur la législation existante et les prérogatives dont dispose l’EPA sur la plupart des législations fédérales en matière d'environnement, notamment de qualité de l’air, pour réguler les émissions de dioxyde de carbone et de méthane. Les réductions les plus importantes sont attendues dans le secteur de l’énergie avec, d’une part, la baisse des émissions de CO2 des centrales électriques et, d’autre part, la réduction des émissions de méthane des infrastructures d’extraction et de transport du gaz naturel. Le plan américain pour une énergie propre ("Clean Power Plan") a été annoncé en juin 2014 et finalisé en août 2015 après une longue période de consultations publiques. Il a pour objectif de réduire les émissions des centrales électriques existantes de 26 % en 2020 et de 30 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005[2]. C’est la mesure phare du Plan d’Action sur le Climat, le secteur électrique étant le secteur le plus émissif aux États-Unis .
 
Lors du départ de Barack Obama de la Maison Blanche, le plan n’avait pas encore été appliqué sur décision de la Cour suprême intervenue le 9 février 2016. Une procédure a été intentée par 27 États, majoritairement républicains, et par plus de 100 industriels qui demandent l’arrêt du plan. La justice américaine doit décider de la légalité du plan, c’est-à-dire si l’EPA a l’autorité pour l’imposer à l’ensemble des États américains. Le nouveau directeur de l’EPA, Scott Pruitt, auparavant ministre de la Justice de l’Oklahoma, a été partie prenante de cette procédure.

Or, c’est à l’EPA que le président Trump demande maintenant de revoir ce plan pour décider de le suspendre, de l’abroger ou de le réviser ("suspend, rescind, or revise it"). C’est un des objectifs du "décret sur l’indépendance énergétique" signé par le Président Trump le 28 mars 2017. Toutes les agences fédérales sont concernées par le texte : elles doivent revoir l’ensemble des textes (réglementations, ordres, documents d’orientation…) qui pourraient peser sur le développement ou l'utilisation de ressources énergétiques produites aux États-Unis, en accordant une attention particulière au pétrole, au gaz naturel, au charbon et au nucléaire. L’objectif déclaré de Trump est d’éliminer les politiques qu’il considère comme "non nécessaires et dommageables à l’emploi".

La nouvelle administration a également pour projet de remettre en cause de nombreux programmes qui financent les recherches sur le climat. Le budget de l’EPA devrait baisser d’un peu plus de 30 %, passant de 8,2 à 5,7 milliards USD. Les coupes budgétaires devraient concerner l’essentiel des programmes de recherche sur le climat, mais aussi sur la qualité de l’eau, ou encore la sureté chimique. De nombreux autres organismes publics de recherche aux États-Unis ("National Science Foundation", "National Aeronautics and Space Administration", "National Oceanic and Atmospheric Administration", Département de l’Énergie) devraient également être concernés par des baisses conséquentes de budget pour leurs programmes de recherche sur le climat.

Ces annonces ont suscité beaucoup d’émoi dans la communauté scientifique internationale et au sein de la société civile, aboutissant à plusieurs initiatives non seulement aux États-Unis mais également dans le reste du monde. Par exemple, le 29 avril 2017, une marche pour le climat a été organisée à Washington pour dénoncer la politique de Donald Trump. L’initiative a été relayée dans plusieurs grandes villes à travers le monde : Londres, Paris ou encore Amsterdam. Le 10 février 2017, le candidat Emmanuel Macron avait également lancé un appel pour inviter les chercheurs américains travaillant sur le climat à venir s’installer en France. Il a réitéré son invitation suite à l’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris.
 
Au niveau fédéral, la situation est donc plus que préoccupante. Est-ce à dire que les États-Unis vont stopper toute action en matière de lutte contre le changement climatique ? Il fait peu de doute que le Président Trump peut véritablement freiner l’ambition et le déploiement des mesures qui avaient été décidées par le gouvernement précédent. Néanmoins, l’action restera forte dans de nombreux États américains qui se sont engagés depuis plus de 15 ans dans la lutte contre le changement climatique. L’exemple des deux premiers États émetteurs de GES du pays, le Texas et la Californie, illustre bien ce contraste : le dernier a initié une politique de lutte contre le changement climatique ambitieuse avec un objectif de réduction de ses émissions précis depuis 2005 et la mise en œuvre d’un système de permis d’émissions négociables incluant également les transports depuis 2015, alors que la politique climatique du Texas reste extrêmement parcellaire. En conséquence, les émissions du Texas continuent à croître, alors que celles de la Californie ont commencé à reculer  après une croissance quasi-continue entre 1990 et 2007. L’action de Donald Tump va donc renforcer la division qui existe actuellement entre les États qui ont fait le choix de réduire leurs émissions et ceux qui tardent à déployer des politiques climatiques. Elle pourrait aussi mettre à mal les chances du pays dans les courses qui se jouent actuellement en matière de technologies bas carbone.


[2] Dans leur contribution nationale ("intended nationally determined contribution"), les États-Unis donnaient un objectif de réduction de leurs émissions de GES entre 26 % à 28 % en 2025 par rapport au niveau de 2005. Voir le billet du 1er octobre 2015, "Que faut-il attendre de la conférence de Paris sur le climat ? (2/2)".
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