Le blog du CEPII

Vietnam : le dernier dragon
(2/2) : La résilience face aux tensions internationales

L’ouverture du Vietnam et son développement sont étroitement liés aux stratégies des entreprises multinationales au cœur de la transformation des structures économiques du Vietnam. En dépit des tensions commerciales internationales, le Vietnam semble plutôt en tirer profit en servant de relais aux entreprises japonaises, coréennes puis chinoises, pour exporter vers les États-Unis.
Par Michel Fouquin, Jean Raphaël Chaponnière
 Billet du 19 décembre 2019


Le rôle crucial des entreprises multinationales

Les investisseurs coréens et taiwanais de l’habillement et de la chaussure qui s’étaient installés au début des années 1990 en Indonésie, gravement atteints par la crise financière asiatique de 1997-98, décident de se délocaliser vers le Vietnam. Se faisant ils transforment en profondeur la spécialisation de ce pays centré initialement sur les produits pétroliers et alimentaires pour l’amener vers les produits manufacturés traditionnels du textile, de l’habillement et du bois, caractéristiques des débuts de l’industrialisation.

Une deuxième transition vers les produits de l’électronique a commencé en 2006 avec l’entrée d’Intel, qui a préféré le Vietnam aux Philippines, pour assembler ses composants électroniques. Intel a ouvert la voie aux entreprises japonaises et coréennes du secteur.

Dans les années 2000, les tensions croissantes entre Tokyo et Pékin ont décidé des entreprises japonaises à adopter une stratégie labellisée par Nomura « China + one », en décidant que pour chaque investissement réalisé en Chine il y en aurait un autre dans un pays asiatique différent. Le Vietnam est rapidement devenu la cible préférée des entreprises japonaises comme le montrent les enquêtes de la Japan Bank for International Cooperation (JBIC)[1]. Elles se sont souvent installées au Nord pour se rapprocher du marché chinois, tout en s’intéressant au marché intérieur vietnamien.
 

Principaux produits exportés (en %)
  1997 2007 2017 2018 (provisoire)
Téléphones et composants - - 21,4 20,2
Produits textile et vêtements 16,4 15,9 12,3 12,5
Composants électroniques pour TV et ordinateurs - 4,5 12,3 12,1
Chaussures et cuirs 10,7 8,2 6,9 6,7
Bois et produits en bois   4,9 3,6 3,7
Produits de la pêche 8,5 7,7 3,9 3,6
Fruits et végétaux, frais ou en conserve 0,8 0,6 1,6 1,6
Café     1,6 1,5
Sacs, pochettes etc.   1,3 1,5 1,4
Noix de cajou     1,6 1,4
Riz     1,2 1,3
Articles en plastique   1,5 1,2 1,2
Source: General Statistics Office of Vietnam, Novembre 2019.


L’adhésion du Vietnam à l’OMC en 2007 a rassuré la Corée et les chaebols sont devenus les premiers investisseurs (en montant approuvé). On les retrouve dans la sidérurgie, la construction navale et les équipements de télécommunications. Aujourd’hui les usines de Samsung assurent près du quart des exportations vietnamiennes. Ces investissements ont de plus bénéficié du support financier des programmes d’aide au développement de la Corée qui a fait du Vietnam une priorité. Les tensions politiques entre la Chine et la Corée, à la suite de l’installation en 2017 du système de missile antibalistique américain (Terminal High Altitude Area Defense (THAAD)) sur le sol Coréen, ont porté un coup dur à l’économie coréenne du fait du boycott informel par la Chine des produits coréens importés et la limitation stricte du nombre de touristes chinois se rendant en Corée. Ces tensions n’ont fait que renforcer la volonté des industriels coréens de réduire leur exposition au marché chinois. De plus leurs exportations vers les États-Unis à partir de la Chine sont également sous pression. Enfin, bien que le conflit commercial sino-américain ait tardé à concerner les biens de consommation[2], ces hausses ont été anticipées par les filiales étrangères présentes en Chine (Nike a délocalisé 6 % de sa production de Chine vers le Vietnam[3]), mais aussi par les entreprises chinoises. Au premier semestre 2019, les investissements directs chinois au Vietnam ont été plus importants que ceux des investisseurs coréens – la Corée restant de loin le premier investisseur en stock.

La résilience du Vietnam

Le Vietnam s’est transformé en un tremplin pour les entreprises asiatiques dont les investissements représentent 81 % du stock d’investissements directs étrangers en 2018. L’activité des multinationales, toutes origines confondues, ne faiblit pas au cours des dix premiers mois de 2019 : elles réalisent 69 % des exportations du Vietnam et 58 % de ses importations. Elles dégagent un excédent commercial de 28 milliards de dollars tandis que les entreprises nationales sont en déficit de 21 milliards. Concentrées dans les industries de main-d’œuvre à faible valeur ajoutée, le gouvernement vietnamien souhaiterait faire évoluer ces investissements vers des secteurs plus valorisant, comme il encourage en ce sens les acteurs locaux[4]. Il y a cependant des obstacles à cette progression : la faiblesse relative de la qualification de la main-d’œuvre et le sous-développement des infrastructures.

L’ouverture de son économie a permis au Vietnam de connaître une croissance vigoureuse qui, depuis 2001, se maintient au-dessus de 6 % par an (et de 5 % en PIB par tête), y compris en 2018-2019, ce qui en fait un des pays les plus dynamiques du monde. Les excédents commerciaux qu’elle réalise la mettent en partie à l’abri des chocs extérieurs. La montée des tensions commerciales internationales notamment entre les États-Unis et la Chine ne semble pas devoir l’affecter outre mesure.

Bien au contraire, si l’on procède à une estimation assez grossière[5] pour 2019 des évolutions du commerce entre la Chine, le Vietnam et les États-Unis on obtient le schéma suivant : par rapport à 2018 les exportations américaines vers la Chine baissent de 32 milliards tandis que les exportations chinoises vers les États-Unis reculent de 55 milliards ; pendant ce temps les exportations vietnamiennes vers les États-Unis progressent de 12 milliards et les exportation chinoises vers le Vietnam progressent du même montant (un hasard). Le Vietnam semble donc bénéficier des tensions commerciales sino-américaines, même s’il ne saurait compenser à lui seul le recul des exportations chinoises vers les États-Unis.  D’autant que les investissements chinois au Vietnam, bien qu’en très forte croissance, notamment en 2019 où ils dépassent les investissements coréens, sont encore limités en stocks[6].

Il y a cependant un risque qui pèse sur le Vietnam. Le dernier rapport du Trésor américain sur les partenaires commerciaux dont les excédents posent problème a intégré dans sa liste de nouveaux pays asiatiques : le Japon, la Corée, la Malaisie et le Vietnam. Prenant note que l’excédent courant du Vietnam est de 2,5 % du PIB en 2017 et de 2,0 % attendu en 2019, le rapport remarque qu’en dépit de l’adoption de jure d’un régime de change flexible en 2016 la parité du dong par rapport au dollar a peu évolué, car, selon ce rapport, la Banque du Vietnam freine son appréciation. Le risque de voir le Vietnam à son tour frappé par des tarifs américains n’est donc pas nul.

 


[1] Survey Report on Overseas Business Operations by Japanese Manufacturing Companies—Results of the JBIC FY2018 Survey: Outlook for Japanese Foreign Direct Investment (30th Annual Survey)

[2] Les hausses de droit de douanes sur ces biens ne sont effectives que depuis septembre 2019.

[3] Financial Times du 22 Octobre 2019 “Vietnam exports surpass economic output”.

[4] C’est le cas dans l’industrie automobile où le premier groupe privé vietnamien affiche de grandes ambitions en investissant plusieurs milliards de dollars avec le soutien de l’État. Cf. Le Hong Hiep. vietnam’s industrialization ambitions: the case of vingroup and the automotive industry. Trends in South East Asia, 2019 n°2.

[5] En utilisant les données de commerce des dix premiers mois de 2019 qu’on annualise.

[6] Bien qu’en forte progression les Chinois ne parviennent qu’au cinquième rang des investisseurs étrangers. Les projets présentés sous le label des routes de la soie sont rares, le seul connu est celui d’une autoroute qui doit relier les provinces du sud de la Chine à Hanoi et aux ports proches (voir le billet de blog « Routes de la soie » n° 2).


Jean-Raphaël Chaponnière est chercheur associé à Asia Centre et à Asia21

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