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Défaillances d’entreprises : quels risques pour l’économie française ?

La crise économique de la COVID-19 ne s’est, pour le moment, pas accompagnée d'une hausse des défaillances d’entreprises, notamment grâce aux prêts garantis par l'État. Des défauts sur ces prêts ne sont pas à exclure, mais leur poids dans les fonds propres des banques et les dépenses de l’État suggère que ces défauts seraient surmontables dans la plupart des scénarios.
Par Sarah Nandnaba*, Erica Perego, Fabien Tripier
 Billet du 30 juillet 2021


La forte contraction du PIB n’a pas entraîné une hausse des défaillances d’entreprises

La crise, débutée en mars 2020 par le premier confinement, a entraîné une baisse du PIB de 8 % en 2020. Cependant, l’arrêt de l’économie durant les différentes vagues n’a pas entraîné, comme on aurait pu s’y attendre, une hausse des défaillances d’entreprises, c’est-à-dire des situations où une unité légale, n’étant plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, se trouve en cessation et doit déposer son bilan, ce qui conduit à une procédure de redressement judiciaire (Graphique 1). Au contraire, le nombre d’entreprises faisant l’objet d’une procédure de redressement judiciaire a diminué de 35 % en avril 2021 par rapport à avril 2020 (Banque de France 2021). Au-delà de la fermeture des tribunaux de commerce durant la première vague, qui a ralenti le processus judiciaire, ce sont les aides de l’État qui ont fortement contribué au soutien des entreprises comme le montre le rapport final du comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux entreprises (France Stratégie, 2021).
 

Graphique 1. La forte contraction du PIB n’a pas entraîné une hausse des défaillances d’entreprises


 
Sources : INSEE, Comptes nationaux trimestriels et Banque de France, Démographie d'entreprises


Les dispositifs de soutien public aux entreprises

Les mesures de soutien public ont permis d’alléger le coût du travail : ainsi, la mise en place du dispositif d’activité partielle a réduit la charge de la masse salariale des entreprises et des reports de dettes fiscales et sociales[1] ont temporairement réduit leurs charges sociales. L’État a, par ailleurs, instauré des dispositifs de soutien à la trésorerie. Le fonds de solidarité[2] a été renforcé et élargi afin de subventionner les frais fixes des entreprises. Enfin, le prêt garanti par l’État[3] (PGE), dispositif le plus important, a été créé afin de permettre aux entreprises d’étaler le coût de la crise sur plusieurs exercices.

Un accès au prêt garanti par l’État contrôlé par les banques

Ce prêt, qui est garanti par l’État à hauteur de 90 %, permet d’obtenir des taux d’intérêt avantageux et de soutenir le financement bancaire des entreprises. Sollicitée plus de 600 000 fois, cette aide a fait l’objet d’une sélection de la part des banques avec un taux de refus des demandes de PGE qui est certes resté inférieur à 3 % (France Stratégie, avril 2021) mais a pu limiter le surendettement des entreprises. En moyenne, ce sont les entreprises ayant des niveaux d’endettement intermédiaires qui ont contracté ces prêts avec un taux de participation au dispositif PGE autour de 40 % (IPP, avril 2021), les plus endettées n’ayant pas alourdi leurs dettes via ce dispositif (leur taux de participation est près de deux fois plus faible).

Le remboursement des premiers PGE va commencer

Le PGE étant le dispositif le plus important, son remboursement demeure un enjeu pour une sortie de crise soutenable. Or, un an après les premiers PGE, on est entré dans la phase de remboursement, bien qu’il soit possible d’obtenir un amortissement d’une à cinq années supplémentaires avec des taux d’intérêt allant de 2 % à 2,5 % contre des taux de 1 % à 1,5 % pour les prêts remboursés d’ici 2022 ou 2023. En cas de défaut, les banques seront touchées. Cependant le risque de crédit semble contenu. En effet, en septembre 2020, les PGE représentait 6,4 % de la dette brute des sociétés non financières (SNF) et 10,2 % de leurs crédits bancaires (Banque de France, octobre 2020). Ces crédits de trésorerie ont donc soutenu les SNF mais ils représentent une part minime de leur dette et de leur capacité d’endettement.

Des pertes pour l’État et les banques supportables

Un accroissement significatif du risque de défaut des SNF n’est cependant pas exclu dans un futur proche. Pour estimer son ampleur potentielle, nous considérons deux scénarios alternatifs. Le premier consiste à supposer que la probabilité de défaut des entreprises est égale à la part de prêts non performants dans l’ensemble des crédits. Ces prêts, correspondant aux créances douteuses dont le risque de défaut élevé constitue une fragilité dans les bilans bancaires, représentaient 2,1 % de l’ensemble des crédits au premier trimestre 2021 (Eurostat, NPL ratio).
 

Tableau 1. Les risques de défaut ont un effet surmontable tant sur les dépenses de l’État que sur les fonds propres des banques

     Sources :
       (1) Etalab (26/07/21). https://aides-entreprises.data.gouv.fr/pge.
       (2) Projet de loi de finance 2021. https://www.budget.gouv.fr/budget-etat.
       (3) ECB (2021T1). https://sdw.ecb.europa.eu/reports.do?node=1000005448.
       (4) Banque de France (mai 2021). https://www.banque-france.fr/statistiques/credit/credit/credits-par-taille-dentreprises.
       (5a) ECB (2021T1). https://www.bankingsupervision.europa.eu/banking/statistics/html/index.en.html.
       (5b) Rapport du sénat. https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-583-notice.html.



 
Une telle probabilité de défaut de 2,1 % conduirait pour les banques à des pertes représentant 3,7 % de leurs fonds propres (Tableau 1). Encore faut-il souligner que les pertes associées aux PGE ne représentent qu’une fraction très marginale de ce chiffre, correspondant à 0,04 % des fonds propres des banques. Selon ce scénario, le risque de défaut ne pèserait pas lourd non plus dans les dépenses publiques (0,4 %). Un autre scénario (2) correspond à la probabilité de défaut de 5,3 % annoncée par le gouvernement (Sénat, juin 2021). Les pertes des banques se monteraient alors à 9,2 % de leurs fonds propres (dont 0,1 % liés aux PGE), tandis que le coût pour l’État représenterait 1,1 % des dépenses publiques.

Quoique substantiels, ces montants de pertes restent tout à fait surmontables pour les banques comme pour l’État. Un diagnostic qui rejoint celui de Gourinchas et al. (2021)[4] pour lesquels les politiques d’aide aux entreprises mises en œuvre dans la plupart des pays n’ont pas créé une "bombe à retardement". Les prêts associés arrivent à échéance, mais les défaillances d'entreprises restent modestes, de même que les coûts de ces politiques.

En somme, si la sortie de la crise économique et sanitaire se confirmait dans un avenir proche, ces évaluations montrent que les dispositifs d’aide aux entreprises auront rempli leur rôle avec succès, comme le conclut le comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux entreprises dans son rapport final (France Stratégie, 2021), limitant la destruction du tissu productif français, avec des effets d’aubaine modérés, sans exposer les banques et l’État à des risques de défaut excessifs.

Données source : data_blog898.xlsx

* Sarah Nandnaba est élève fonctionnaire stagiaire à l’ENS Paris-Saclay.


[1] Montant des aides allouées au titre du report des dettes fiscales et sociales : 3,5 milliards d’euros.

[2] Montant des aides allouées au titre du fonds de solidarité : 32,2 milliards d’euros.

[3] Montant des aides allouées au titre du PGE : 139,28 milliards d’euros.

[4] Gourinchas, P. O., Kalemli-Özcan, Ş., Penciakova, V., & Sander, N. (2021, May). COVID-19 and Small-and Medium-Sized Enterprises: A 2021" Time Bomb"?. AEA Papers and Proceedings, Vol. 111, pp. 282-86.

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