
Avec la réélection de Donald Trump, les guerres et la hausse des tarifs douaniers, l’économie mondiale est dans un climat d’incertitude profond. Gopixa/Shutterstock
L’année qui vient de s’écouler a vu l’économie mondiale basculer dans un nouveau paradigme. Quelle lecture en fait le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) ?
Le premier chapitre de l’ouvrage, rédigé par Isabelle Bensidoun et Thomas Grjebine, intitulé « L'économie mondiale en guerre », donne le ton. Il faut dire que rarement depuis les années de guerres mondiales, le climat géopolitique n’avait été aussi dangereux.
Résultat, l’incertitude est au plus haut et, avec elle, la trajectoire de croissance mondiale fragilisée. À cet égard, celles qu’emprunteront les deux premières puissances économiques mondiales – les États-Unis et la Chine – sera déterminante.

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Aux États-Unis, difficile de ne pas être inquiet des conséquences de la tariffmania de Donald Trump, du creusement du déficit que le « Big Beautiful Act » va entraîner ou de l’abandon de la politique industrielle qu’avait impulsée la précédente administration. Car si Donald Trump, tout comme son prédécesseur, fait de la réindustrialisation un de ses chevaux de bataille, la stratégie est bien différente entre les deux locataires de la Maison Blanche.
Là où Joe Biden avait engagé une politique industrielle ciblée sur les filières stratégiques combinant subventions massives et incitations fiscales, Donald Trump compte sur la baisse des impôts, la déréglementation et la coercition tarifaire pour forcer les industriels à investir aux États-Unis. Un pari risqué qui pourrait alimenter une inflation des coûts de production, une baisse du pouvoir d’achat des ménages et renforcer l’incertitude pour les investisseurs.
De même, en Chine, le modèle de croissance déséquilibré, du fait d’une demande intérieure structurellement atone, devient de plus en plus préoccupant dans un contexte où les relations commerciales sont devenues un champ de bataille.
Après une prise de conscience depuis la crise sanitaire, renforcée par la guerre en Ukraine, la sécurité économique était devenue le nouveau cadre de la mondialisation. Avec pour conséquence, des pays devenus plus regardants à l’égard de la concurrence déloyale exercée par la Chine sur leurs productions de produits stratégiques.
Avec le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, si les ambitions restent les mêmes, la méthode a radicalement changé. Le friendshoring – cette recherche d’alliances entre pays qui partagent les mêmes valeurs – a cédé la place aux rapports de force.
Le « jour de la libération » (2 avril 2025), ce jour où Donald Trump a désigné ses ennemis – les pays qui exportent davantage aux États-Unis que ces derniers n’exportent vers eux –, 57 pays ont été ciblés avec des droits de douane atteignant 50 % pour le Vietnam, des surcharges de droits de 34 points de pourcentage pour la Chine ou de 20 points pour l’Union européenne.
Et si une semaine plus tard, le jour où ces droits de douane devaient entrer en vigueur, Donald Trump a décidé d’une pause de quatre-vingt-dix jours après que les marchés financiers, et notamment celui de la dette publique états-unienne, ont menacé de s’écrouler, le protectionnisme brutal est bien devenu le nouveau credo de la politique commerciale états-unienne.
L’incertitude déclenchée par la guerre commerciale ne risque-t-elle pas de rendre le financement de la dette américaine plus difficile, alors même qu’elle devrait s’accroître dans les années à venir avec le « Big Beautiful Act » ?
Oui le risque est bien présent. Il s’est concrétisé à la suite du « jour de la libération », quand le marché des bons du Trésor états-unien, valeur refuge par excellence lorsque les bourses dévissent, a plongé, la confiance des investisseurs ayant été sérieusement éprouvée par le déferlement de mesures tarifaires.
Mais Donald Trump est habile. Une parade a été trouvée pour limiter ce risque, avec le vote du « Genius Act » cet été : le développement de stablecoins adossés au dollar que cette loi vise à encourager.
Ces jetons numériques adossés au dollar devraient permettre à la demande de l’actif souverain états-unien de se maintenir et constituer un nouveau canal privé de diffusion internationale du dollar, à l’heure où certaines banques centrales sont enclines à bouder le billet vert pour limiter sa suprématie et les risques y afférent.
Ce néo-mercantilisme monétaire, pendant du néo-mercantilisme commercial de Donald Trump, risque fort d’alimenter une nouvelle bataille, dans le domaine monétaire cette fois. Pour l’Europe, l’enjeu dans ce contexte est de trouver le moyen d’éviter l’affaiblissement de la souveraineté monétaire de la zone euro.
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, c’est aussi la rivalité sino-américaine autour des métaux stratégiques qui a redoublé d’intensité ?
Effectivement. L’escalade tarifaire avait conduit à des droits de douane de 145 % pour les produits chinois sur le marché états-unien et de 125 % en Chine sur les importations en provenance des États-Unis. Si elle a pris fin, c’est bien parce que les Chinois ont dégainé leur arme de destruction massive : des contrôles très stricts sur les exportations de terres rares, qui se sont traduits par des pénuries dans plusieurs secteurs et notamment le secteur automobile.
La recherche d’une indépendance à l’égard de la suprématie chinoise dans les métaux stratégiques n’est pas nouvelle. Carl Grekou, Emmanuel Hache et Valérie Mignon nous rappellent d’ailleurs dans le chapitre II que Donald Trump y voyait déjà, lors de son premier mandat, une menace pour la sécurité nationale. Menace qui n’a fait que s’amplifier avec le déploiement depuis plusieurs années d’une stratégie de coercition économique par Pékin.
Mais dans ce domaine, comme dans celui de la politique industrielle, les méthodes, auxquelles l’administration Biden et l’administration Trump 2 ont recours, sont presque aux antipodes l’une de l’autre, surtout au niveau international. Là où Joe Biden cherchait à sécuriser des zones riches en matériaux critiques en dehors du territoire national pour construire des chaînes d’approvisionnement avec des alliés, Donald Trump mise sur une stratégie unilatérale, offensive, voire de conquêtes territoriales. Il en est ainsi de ses revendications sur le Groenland ou de sa proposition de faire du Canada le 51e État des États-Unis. Quant à l’Ukraine, dont le sous-sol regorge de titane, de graphite, de lithium ou de terres rares, elle s’est trouvée contrainte de signer un accord en avril 2025 qui confère aux États-Unis un accès prioritaire à ses terres rares.
L’ambition hégémonique de Donald Trump n’est pas sans risques. Face à une telle offensive, les « petits pays » producteurs de métaux stratégiques pourraient chercher à se coordonner pour la défense et la mise en valeur de leurs ressources, conduisant alors à une recomposition du pouvoir autour des ressources en matériaux critiques.
Dans une économie mondiale en guerre, il n’est pas improbable de voir les sanctions se multiplier. Mais est-ce qu’elles fonctionnent ?
C’est la question que se sont posée Matthieu Crozet, Charlotte Emlinger, et Kevin Lefebvre dans le chapitre III. La recrudescence des tensions géopolitiques s’accompagne de la montée en puissance des sanctions internationales. Les nations occidentales, dont les États-Unis et les pays d’Europe, au premier chef, ne sont plus les seules à y recourir : la Chine et la Russie n’hésitent plus à mobiliser cette arme.
En se concentrant sur les sanctions commerciales qui offrent les données nécessaires à l’exercice d’évaluation, ils apportent une réponse nuancée. Ils appellent à ne pas trop attendre des sanctions tant les contournements sont possibles, les compensations légions et le ciblage largement illusoire, mais à ne pas en désespérer non plus. Car si la Russie a su pallier l’arrêt des importations empêchées par les sanctions en se tournant vers des fournisseurs de pays amis, elle a pour cela payé le prix fort pour une qualité moindre.
Force est de constater qu’à plus long terme, les sanctions redessinent de manière durable les routes du commerce international, en continuant d’exercer un effet dissuasif même une fois levées.
On a vu qu’en matière commerciale l’économie mondiale était devenue un champ de bataille. À cet égard, le secteur automobile a été l’un des premiers à faire les frais de la tariffmania de Donald Trump. Pourquoi ce secteur en particulier ?
L’automobile est, pour Vincent Vicard et Pauline Wibaux qui ont rédigé le chapitre IV, le secteur le plus emblématique de la mondialisation et de ses bouleversements. C’est un secteur qui structure les tissus industriels de nombreux pays, qui assure une part importante du commerce international – près de 10 % des échanges mondiaux en 2023 – et qui est aujourd’hui à la croisée de transformations majeures.
Au niveau technologique, le passage à la voiture électrique implique une rupture industrielle profonde. Pour les constructeurs européens, l’enjeu est de rattraper le retard pris sur les nouveaux acteurs chinois et états-uniens qui sont en train de reconfigurer le marché.
S’agissant de la Chine, la percée qu’elle a opérée dans ce secteur lui a permis de devenir le premier exportateur mondial de véhicules, avec une part de moins de 5 % dans les années 2000 et 2010 à près de 15 % en 2024, laissant derrière elle les exportateurs historiques que sont le Japon et l’Allemagne. Les marques chinoises, dont l’émergence s’est avant tout construite sur leur marché intérieur, représentent aujourd’hui 60 % de ces exportations. Leur place est aussi dominante sur le marché des véhicules électriques, avec près de 55 % de la production mondiale !
Pas très surprenant dans ce contexte que le secteur soit la cible du protectionnisme, tout particulièrement les véhicules électriques, et pas seulement aux États-Unis. L’Europe a décidé en octobre 2024, après une enquête antisubventions, d’appliquer une surcharge allant jusqu’à 35 % aux véhicules électriques importés de Chine, avec l’espoir également que ces surtaxes conduisent à une accélération des investissements chinois sur le sol européen. C’est aussi ce que Donald Trump espère avec les droits de douane additionnels de 25 % sur les importations de véhicules et de pièces détachées décrétés en avril 2025.
Une autre bataille est en cours avec le développement de l’intelligence artificielle (IA). Quels en sont les risques ?
L’IA figure effectivement parmi les bouleversements majeurs qui reconfigurent l’économie mondiale. C’est ce qu’Axelle Arquié analyse dans le chapitre V, après avoir rappelé en quoi l’IA constitue une avancée décisive, quelles en sont les différentes formes, leur fonctionnement et leurs limites.
Les visions sur ses conséquences s’affrontent. Pour les uns, l’IA s’inscrirait dans le long processus de la révolution industrielle, dont elle décuplerait les effets en étant source de croissance, de formidables avancées en médecine, et de moindres inégalités. Pour d’autres, elle pourrait mener à la dévalorisation du travail humain, à une chute des salaires, voire une marginalisation de l’espèce humaine, notamment si l’IA générale (IAG), comparable à celle des humains, parvient à émerger.
L’humanité pourrait alors se trouver face à un épineux dilemme du prisonnier : refuser de s’engager dans la course à l’IA au risque de se retrouver vassalisée par les leaders technologiques ou bien entrer dans une course à l’IA non régulée, au risque de déboucher sur une IAG non alignée avec les intérêts humains.
En la matière, tout va dépendre des règles que la communauté internationale saura imposer pour éviter qu’un point de non-retour soit atteint.
L’économie mondiale 2026 se frotte à un autre sujet de bataille, celui de l’immigration, avec des conclusions qui vont à l’encontre de ce que l’on a l’habitude d’entendre dans les débats.
C’est sous l’angle de l’intégration économique des immigrés, et tout particulièrement de l’évolution de leur situation sur le marché du travail, qu’Anthony Edo et Jérôme Valette abordent la question de l’immigration dans le chapitre VI.
70 % des Européens, selon l’Eurobarometer 2021, estiment que la difficulté d’accès à l’emploi des immigrés constitue le principal obstacle à leur intégration. Or un des éléments structurant de l’insertion des immigrés dans l’emploi est d’acquérir un statut stable, légal et assorti de droits reconnus.
À partir des résultats d’un large ensemble d’études empiriques, ils montrent en effet que naturalisation, asile, et régularisation constituent d’importants leviers à la disposition des pouvoirs publics pour favoriser l’intégration économique des immigrés.
D’après les études existantes, il n’y a pas à craindre que ces mesures fassent augmenter les flux migratoires à court terme. À plus long terme, leur efficacité dépendra de leur articulation avec les politiques d’entrée des immigrés, qui encadrent à la fois le volume et le profil des nouveaux arrivants.
Autre grand sujet d’anxiété pour l’économie mondiale : la démographie, dont les évolutions sont souvent décrites sans nuances et dans un registre dramatique. Qu’en est-il ?
Le retour aux chiffres et aux concepts est l’approche adoptée par Hippolyte d’Albis dans le chapitre VII pour avoir une approche apaisée de ces grands enjeux, dont l’acuité varie en fonction du niveau de revenu des pays.
Les pays à haut revenu sont les premiers confrontés au ralentissement de la croissance démographique et à la baisse de la fécondité, rejoints depuis peu par ceux à revenu intermédiaire, tandis que la population continue de croître dans les pays à bas revenu.
Ces évolutions soulèvent des défis, mais sont aussi porteuses d’opportunités. La baisse de la natalité exerce un effet positif sur le taux d’emploi des femmes notamment. Et si l’on tient compte de l’amélioration de l’état de santé et de l’espérance de vie, le vieillissement de nos sociétés est en réalité beaucoup moins marqué.
Quoi qu’il en soit, les pays riches doivent miser sur l’éducation, l’innovation et la productivité pour dynamiser leur société vieillissante, et faire de l’immigration un outil de rééquilibrage en l’accompagnant par des politiques d’intégration.
Les pays à revenus intermédiaires, dont la fenêtre d’opportunité démographique est en train de se refermer, doivent l’anticiper et investir dans l’avenir.
Les pays pauvres, enfin, où la transition démographique n’est pas encore amorcée, ont besoin de progrès en matière de santé, d’éducation – en particulier des femmes – pour que cette étape coïncide avec leur développement économique.
Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur du CEPII, CEPII et Jézabel Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.