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Banque du Japon : a-t-elle raison de changer de stratégie ?

Afin de comprendre l’attitude du nouveau gouvernement de Shinzo Abe face à la banque centrale du Japon, il est intéressant de comparer la politique monétaire du Japon récente à celle mise en œuvre dans les années 2000 ainsi qu’aux mesures prises par la Fed en réponse à la crise financière.
Par Urszula Szczerbowicz
 Billet du 25 mars 2013


Le 4 mars 2013, le parlement japonais a approuvé la candidature de Haruhiko Kuroda au poste de gouverneur de la Banque du Japon (Bank of Japan, BOJ). Cette nomination, confirmée par le Sénat le 15 mars, participe au changement de politique économique annoncé par Shinzo Abe depuis l’automne 2012. Une politique monétaire plus agressive centrée sur la lutte contre la déflation et contre l’appréciation du yen constitue un de ses trois axes principaux. L’annonce de cette nouvelle stratégie a immédiatement contribué à la baisse du yen.

La déflation est, au Japon, un problème non-résolu depuis presque deux décennies. L’indice des prix mesuré par le déflateur du PIB [1] a chuté d’environ 18 % depuis 1994. Malgré des taux d’intérêt nominaux exceptionnellement bas, les taux réels à long terme restent positifs, ce qui décourage les investisseurs. La crise récente a aggravé les difficultés : les politiques d’assouplissement quantitatif dans plusieurs pays et la crise de la zone euro ont contribué à l’appréciation du yen entre 2007 et 2012 (cf. graphique 1).

Pour comprendre l’attitude du gouvernement de Shinzo Abe face à la BOJ, il est intéressant de comparer la politique actuelle de la banque centrale japonaise au premier assouplissement quantitatif du début des années 2000 ainsi qu’aux mesures prises par la Fed lors de la crise récente.

La BOJ a été le précurseur de la politique monétaire non conventionnelle entre 2001 et 2006.  L’éclatement des bulles immobilière et boursière du début des années 1990 a été suivi par un double désendettement des banques et des entreprises, par la déflation et par la crise bancaire de 1997-1998. Face à ces événements, la banque centrale a graduellement baissé son taux d’intérêt directeur, jusqu’à atteindre le taux « plancher » de zéro. La BOJ a ensuite mis en place des politiques monétaires non conventionnelles : gestion des anticipations, changement dans la composition des actifs de la banque centrale (par exemple via les achats de titres plus risqués) et augmentation de la base monétaire. Ces politiques avaient pour but de diminuer les taux d’intérêt à long terme et d’augmenter l’inflation.

Bien qu’innovantes pour son époque, les politiques non conventionnelles de la BOJ étaient très prudentes. La base monétaire a été augmentée de 40% seulement entre 2001 et 2006. Cette expansion s’est faite pour moitié par des prêts à court terme accordés aux banques et pour une autre moitié par des achats d’obligations d’Etat à long terme. Le rythme des achats d’obligations était donc très modéré : entre 3 et 10 milliards de dollars par mois. La BOJ avait par ailleurs précisé que ces achats n’avaient pas pour but de modifier le prix des actifs mais d’allouer aux banques des réserves excédentaires qu’elles prêteraient ensuite aux entreprises et aux ménages. Il n’est donc pas surprenant que les études empiriques montrent que les achats d’obligations souveraines n’ont pas diminué les taux d’intérêt à long terme au Japon. En effet, une diminution des taux d’intérêt à long terme ne peut s’obtenir que par des achats en quantité suffisamment importante pour réduire la disponibilité des actifs en question auprès des investisseurs privés.

Ben Bernanke,  pour qui la crise japonaise a été un sujet de recherche, semble avoir tiré les leçons de la « décennie perdue » au Japon. Ainsi, depuis le début de la crise des subprimes, il a misé sur les achats directs d’actifs plutôt que sur la seule fourniture de liquidités aux banques. La Fed a acquis environ 3 440 milliards de dollars de titres privés lors des mesures successives d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). De surcroît, ces sommes concernent uniquement les achats de titres plus risqués : actifs à long terme, titres hypothécaires inclus.

La BOJ quant à elle a continué à mettre en œuvre une stratégie non conventionnelle très prudente ressemblant à s’y méprendre à sa stratégie du début des années 2000. La taille du bilan de la banque centrale japonaise n’a ainsi augmenté que de 40% entre 2007 et 2013 alors que celui de la FED a plus que triplé (voir graphique 2). Au Japon, les achats de titres à long terme ont été très limités : environ 274 milliards de dollars fin février contre 3 440 aux Etats Unis. Ces montants semblent d’autant plus faibles que la dette souveraine du Japon, et donc les obligations détenues par les investisseurs privés, reste très élevée.

Le 22 janvier dernier, suite aux pressions du Premier ministre, la BOJ a fixé sa cible d’inflation à 2% contre 1% auparavant. Elle a également annoncé un nouveau programme d’achats illimités d’actifs. Mais, ceux-ci n’interviendront pas avant 2014 et vont à nouveau privilégier des titres de court terme : 105 milliards de dollars par mois contre seulement 21 milliards de dollars pour les titres à long terme. A titre de comparaison, la Fed achète 85 milliards de dollars de titres à long terme par mois.

Le nouveau programme d’achats d’actifs et de prêts semble ainsi insuffisant pour atteindre la cible d’inflation de 2%. La BOJ dispose pourtant d’importantes marges de manœuvre : elle pourrait augmenter sensiblement ses achats de titres de long terme. D’autres mesures, encore moins conventionnelles, pourraient être envisagées : un taux d’intérêt négatif sur les dépôts des banques commerciales auprès de la BOJ ou même la distribution directe aux ménages de monnaie créée ex nihilo par la Banque Centrale (la « monnaie hélicoptère » [2]). Cette dernière solution, bien que controversée, semble efficace dans la lutte contre la déflation dans le contexte où les banques sont réticentes à distribuer le crédit aux entreprises et aux ménages, et où les entreprises refusent d’augmenter les salaires.

Graphique 1 – Taux nominaux et réels et inflation au Japon 


Graphique 2 – Masse monétaire de la Fed, de la BCE et de la BOJ (Indice 2001=100)


Note : QE correspond au quantitative easing (assouplissement quantitatif)

 

[1] Le « déflateur du PIB » est le taux d’inflation utilisé par les comptables nationaux pour distinguer les évolutions réelles des évolutions nominales. Il est plus large que l’indice des prix à la consommation.
 
[2] Milton Freidman, The optimum quantity of money. Aldine Publishing Company. 1969. p. 4.

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