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Afflux de réfugiés en Europe. Quels enseignements tirer des expériences passées ?

Les mouvements de population observés dans le monde suite à des conflits ont généralement lieu à l’intérieur des pays touchés. Lorsque ces flux passent la frontière du pays, ils s’étendent le plus souvent aux pays limitrophes. Ils sont plus faibles au-delà.
Par Anthony Edo
 Billet du 30 septembre 2015


Les flux actuels de réfugiés en direction des pays européens sont ainsi faibles comparés à la totalité des populations déplacées en raison de conflits ; le phénomène n’est pas inédit, et d’après des études antérieures, l’impact moyen à attendre sur le marché du travail devrait être négligeable.
 

Pays d’origine et destination des réfugiés

Les persécutions, les violences et les guerres que subissent certaines populations dans le monde les conduisent à fuir vers des zones géographiques qu’ils considèrent comme moins dangereuses. D’après le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), le nombre de personnes « déracinées » (i.e., déplacés internes et réfugiés) suite à des conflits a été de 60 millions de personnes au cours de l’année 2014. Ce chiffre global cache toutefois des réalités contrastées selon les pays d’origine et de destination des populations concernées.

Les populations contraintes de quitter leur résidence principale sont quasi-exclusivement originaires de pays en voie de développement, au premier rang desquels figurent, en 2014, la Syrie, la Colombie, l’Irak et le Soudan. Environ deux tiers des populations déracinées sont des déplacées internes : elles fuient leur foyer mais restent dans leur pays d’origine. Le tiers restant est constitué de « réfugiés », c'est-à-dire de personnes qui se trouvent hors du pays dont elles ont la nationalité ou dans lequel elles ont leur résidence habituelle (voir l’article 1 de la Convention de Genève de 1951). En 2014, les Afghans, les Syriens et les Somaliens représentaient plus de 50% du contingent total de réfugiés.

Les données mises à disposition par l’UNHCR indiquent que les réfugiés se dirigent principalement vers des pays proches de leurs pays d’origine. Ainsi, depuis le début de la crise syrienne en 2011, les 4 millions de réfugiés syriens ont principalement été accueillis par la Turquie (45% des réfugiés), le Liban (30% des réfugiés) et la Jordanie (16% des réfugiés). Il en va de même pour les réfugiés afghans et somaliens qui se dirigent majoritairement vers le Pakistan et l’Iran pour les premiers, et vers le Kenya et l’Éthiopie pour les seconds.

Seule une très faible minorité des personnes déracinées, généralement plus instruite et plus riche, peut se permettre de se diriger vers des zones géographiques plus éloignées et plus développées, comme l’Europe par exemple. Depuis le début de l’année 2015, plus de 300 000 réfugiés et migrants sont arrivés en Europe (via la Grèce notamment), soit l'équivalent de 0,06% de la population de l’Union européenne ou 0,5% de la population française.


Les grands mouvements de réfugiés en Europe du XXème siècle

Les flux de réfugiés que connaissent actuellement les pays européens ne sont pas nouveaux. Au cours du vingtième siècle, le contexte politique de certains pays a induit des déplacements importants de populations. Sans chercher à être exhaustif, rappelons par exemple que le premier grand mouvement de population a fait suite à la révolution bolchévique de 1917, conduisant une partie de la population russe à émigrer vers l’Europe. Au total, environ 1 500 000 « russes blancs » auraient émigré de Russie pour fuir le régime. Pour la seule année 1920, 600 000 réfugiés russes sont arrivés en Allemagne, 280 000 à Istanbul et 150 000 en France.

Un second exode massif durant la première moitié du XXème siècle concerne l’Espagne. La guerre civile espagnole (1936-1939) et la victoire des nationalistes ont entraîné le départ d’environ un demi-million de personnes vers la France. La population française étant alors d’environ 41,5 millions de personnes, l’immigration espagnole a accru cette population de 1,2%.

D’autres grands mouvements migratoires de réfugiés apparaissent après la Seconde guerre mondiale, l’un des plus importants étant causé par la guerre du Kosovo en 1999, contraignant environ 800 000 personnes à fuir leur pays d’origine vers les pays voisins dont l’Albanie (450 000).
 

L’impact d’un afflux massif de migrants sur le marché du travail
 
Plusieurs expériences historiques d’immigration soudaine et massive ont fait l’objet d’études économiques empiriques pour mesurer leurs effets sur le marché du travail. L’une d’entre elles, réalisée par l’économiste américaine Jennifer Hunt en 1992, examine les conséquences du rapatriement des Français d’Algérie au cours de l’année 1962 sur les salaires et l’emploi des travailleurs résidant en métropole. À la suite de la signature des accords d’Évian en mars 1962 et du référendum d’avril de la même année, consacrant l’indépendance de l’Algérie, 900 000 rapatriés arrivèrent en France métropolitaine et choisirent de s’installer majoritairement dans les départements du Sud. Afin d’évaluer l’impact de ce choc d’offre de travail sur les conditions d’emploi des résidents, Hunt compare l’évolution du chômage et des salaires dans les départements français de la métropole entre le début des années 1962 (avant le rapatriement) et 1968 (après rapatriement) et essaie d’en isoler les effets. Les résultats obtenus par cette étude indiquent qu’en moyenne le rapatriement des 900 000 Français d’Algérie n’a eu qu’un impact très limité, mais négatif, sur les salaires et l’emploi des métropolitains.

La seconde expérience historique marquante qui a fait l’objet d’une étude est celle de l’émigration des juifs de Russie vers Israël à la suite de la chute de l’ex-URSS. Entre 1989 et 1995, plus de 600 000 personnes se sont installées en Israël, augmentant ainsi la taille de la population israélienne d’environ 14%. Les conséquences de ce choc d’offre de travail sans précédent sur les salaires et l’emploi des résidents israéliens ont été évaluées par l’économiste américaine Rachel Friedberg en 2001. L’une des originalités méthodologiques de cette étude est d’analyser l’impact des immigrés sur le salaire horaire des Israéliens de même niveau de qualification. L’auteure conclut que le salaire horaire moyen n’a pas été affecté par la forte immigration causée par la chute de l’ex-URSS.

Ces deux expériences d’immigration n’ont donc pas eu d’impact significatif sur le marché du travail. L’adaptation rapide des moyens de production et des infrastructures nécessaires à la valorisation des facultés productives des nouveaux arrivants, favorisée par le contexte économique de la France des années 1960 (avec des taux de croissance à 5%) a grandement facilité l’absorption de ce choc d’offre de travail par l‘économie française. De même que la forte qualification des immigrés russes pour l’économie israélienne. Ces deux études suggèrent donc qu’un afflux important d’immigrants au cours d’une période donnée dans un pays peut être absorbée par son économie sans que le niveau moyen des salaires et d’emploi ne se détériore.
 
Références :
 
Friedberg, R. M., 2001. The Impact of Mass Migration on the Israeli Labor Market, The Quarterly Journal of Economics 116(4), 1373–1408.

Gorboff, M., 1995. La Russie fantôme: l'émigration russe de 1920 à 1950. L'Age d'homme.

Hunt, J., 1992. The Impact of the 1962 Repatriates from Algeria on the French Labor Market, Industrial and Labor Relations Review, 556–572.
 
Sitographie :
 
http://www.unhcr.fr/55e0a7afc.html
http://www.unhcr.fr/53a2e37ac.html   
http://www.unhcr.fr/5581a037c.html
http://www.unhcr.fr/559e2ca6c.html

 
Base de données :
 
http://popstats.unhcr.org/en/time_series
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