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La signature de l’Accord de Paris sur le climat, une première étape réussie

La cérémonie de signature de l’Accord de Paris à l’ONU le 22 avril 2016 à New York devrait placer l’après-COP21 sur de bons rails. C’est l’occasion de revenir dans ce billet sur quelques perspectives ouvertes (mais aussi fermées) par ce texte fondateur.
Par Etienne Espagne, Stéphanie Monjon
 Billet du 11 mai 2016


Le 22 avril, la cérémonie officielle de signature de l’Accord de Paris sur le climat a eu lieu à New-York. 175 Parties (174 pays et l’Union européenne) ont signé le texte. L’Accord reste ouvert à la signature des 195 pays qui l’ont négocié pendant un an. C’est la première fois qu’un accord international recueille autant de signataires dès la première journée d’ouverture.[1] Si la signature d’un traité international constitue un signal politique fort, sa ratification impose une démarche juridique supplémentaire permettant de l’intégrer dans le droit national. Parmi les actuels signataires, seuls 15 pays, pour la plupart des petits États insulaires, ont d’ores et déjà déposé leur instrument de ratification auprès des Nations unies. L’Accord n’entrera pourtant en vigueur qu’une fois ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cette cérémonie de signature est l’occasion de remettre en perspective l’Accord de Paris dans le temps long de la négociation climatique.

Les trois principes de l’accord de Paris

L’Accord de Paris de décembre dernier reprend le diptyque de l’Accord de Copenhague (COP 15, 2010) : un consensus sur l’objectif de long terme, exprimé comme une limitation de l’augmentation de la température moyenne mondiale, et des décisions unilatérales portant sur les efforts que chaque partie est prête à réaliser pour limiter ses émissions de GES. Ainsi, pour atteindre l’objectif global d’« élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », les efforts consentis par les Parties ne font pas l’objet d’une négociation multilatérale mais sont décidés de façon unilatérale et présentés dans une « contribution déterminée au niveau national » (en anglais, Intended Nationally Determined Contributions, INDCs). Le nouveau traité ajoute un troisième volet à ce diptyque en demandant à chacun des pays de revoir tous les cinq ans à partir de 2020 leurs contributions nationales, sans en faire baisser les objectifs et en incitant, au contraire, chacun des États à faire mieux.

Une architecture juridique qui retient les écueils de l’Accord de Copenhague

Le texte négocié à la COP 21 témoigne de la volonté des négociateurs de dépasser les écueils du protocole de Kyoto.

Une première différence importante porte sur la façon dont les objectifs de limitation ou de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sont intégrés. A la différence du protocole de Kyoto, ces objectifs ne sont pas directement inclus dans le texte de l’accord et donc la ratification que les Pays ont à faire ne porte pas directement sur les réductions d’émissions que les signataires s’engagent à réaliser. L’engagement que prennent les signataires de l’Accord est d’établir, communiquer et actualiser les contributions nationales. Mais les contributions elles-mêmes ne sont pas définies dans le texte de l’Accord. Dans le cadre de ces contributions, les États ont pu présenter, en amont de la COP 21, les efforts envisagés, à un niveau national, en matière de la lutte contre le changement climatique. Les objectifs déclarés peuvent être présentés sous différentes formes : objectif de réduction des émissions de GES, par rapport à une année de référence ou un scénario de référence, objectif de réduction de l’intensité émissive du PIB, ou encore description des politiques climatiques mises en œuvre ou envisagées.

Les signataires prennent également l’engagement de réviser leurs contributions nationales tous les 5 ans à partir de 2020, en prenant en compte les résultats du bilan mondial communiqués par la COP. Le texte négocié prévoit donc d’ores et déjà le renforcement des contributions nationales, tout en laissant aux parties la liberté de choisir dans quelle mesure elles augmentent leurs efforts. Quand il a été signé, le protocole de Kyoto avait un objectif assez similaire. Le texte retenu ne définissait qu’une première période d’engagements, qui fixait des cibles chiffrées de réduction d’émissions de GES uniquement pour les pays industrialisés pour la période 2008-2012, mais l’accord devait progressivement être complété par de nouvelles périodes d’engagements impliquant un plus grand nombre de pays et reposant sur des cibles de réduction de plus en plus ambitieuses. Les nouveaux engagements, retranscrits dans un amendement au protocole[2], devaient néanmoins, comme le texte initial, être accepté à l’unanimité avant d’être ratifié par un nombre suffisant de parties.

En cela, l’Accord de Paris peut sembler moins efficace que le protocole de Kyoto puisque l’action relève entièrement de la volonté des parties de mettre en œuvre et de renforcer des politiques de lutte contre le changement climatique. Un pays qui ne souhaite pas se soumettre à un engagement de réduction de ses émissions de GES peut se dédouaner facilement de son engagement, aussi « contraignant » soit-il. Alors qu’il l’avait ratifié, le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto en 2011. Le système d’observance et les éventuelles sanctions qui étaient prévues dans le texte étaient donc assez peu crédibles, du moins pas dissuasives. Ces deux éléments n’ont donc pas été repris dans le cadre de l’Accord de Paris. En revanche, un mécanisme de transparence a été vivement souhaité et longuement négocié. L’article 13 prévoit en effet qu’un comité d’experts internationaux vérifie publiquement les informations fournies par les pays quant à l’évolution de leurs émissions et des progrès réalisés pour les réduire. A la différence du protocole de Kyoto, ce mécanisme s’appliquera aux pays développés comme aux pays en développement. L’objectif est de produire une base de discussion entre les pays, afin de s’encourager mutuellement à augmenter leur ambition. La transparence met en jeu la réputation de chaque partie vis-à-vis des autres mais aussi de son opinion publique.

L’accord de Paris et la finance : Fama ou Minsky ?

La principale nouveauté de l’Accord vient de l’intégration de la question financière au plus haut niveau du texte (Espagne, 2016). L’article 2 stipule en effet que les flux financiers doivent s’aligner sur les objectifs climatiques d’atténuation et d’adaptation des Parties. Cette reconnaissance revient à accorder une importance cruciale à des changements au sein du système financier. Comme pour le reste du texte cependant, les outils spécifiques ne sont pas précisés. On peut supposer qu’à l’avenir, la CCNUCC ne jouera qu’un rôle de coordinateur bienveillant des initiatives diverses qui pourraient surgir dans ce domaine, comme elle le fait déjà avec la Carbon Pricing Leadership Coalition pour les questions de prix du carbone, par exemple.

Déjà, le G20 a lancé un certain nombre d’initiatives en ce sens. D’un côté, mission a été donnée à une taskforce ad hoc du Financial Stability Board, composée de professionnels du secteur financier, pour l’année 2016, de se concentrer sur la divulgation volontaire d’informations sur les risques carbone contenus dans les portefeuilles financiers, afin que les prix des actifs intègrent ces informations et améliorent l’efficacité des marchés au regard du changement climatique. Une volonté de transparence bienvenue s’affirme, mais qui ne peut espérer à elle seule réaliser l’objectif de l’article 2 de l’Accord, sauf à croire encore en l’approche de l’efficience des marchés « à la Fama ». De l’autre côté, un groupe de travail conjoint entre la Banque d’Angleterre et la Banque Populaire de Chine a été créé pour concevoir et proposer les instruments financiers nécessaires à une orientation des capitaux vers les investissements « verts », consistant essentiellement en la création d’un marché mieux structuré de green bonds.

Les évaluations chiffrées de l’ampleur des risques que fait courir le changement climatique pour le système financier se font plus nombreuses (Dietz et al., 2016 ; ESRB, 2016). Elles sont néanmoins encore trop incomplètes pour refléter un spectre fiable de valeurs et circonscrire précisément les risques encourus à titre individuel par les institutions financières.

En réalité, la nature même du changement climatique combinée à la fragilité actuelle du « global financial safety net » (IMF, 2016) crée toutes les conditions d’un risque systémique climatique (Espagne et Aglietta, 2016), c’est-à-dire d’un risque global, plus proche des théories financières élaborées par Hyman Minsky. Cette notion est absente du texte de l’Accord alors même que tous les appels publics à l’urgence de l’action y conduisent naturellement. Il faut une exégèse particulièrement poussée du texte pour parvenir à y voir les prémisses d’un réalignement des flux financiers vers de tels objectif : on peut citer notamment la reconnaissance par les parties d’une valeur sociale, économique et environnementale des actions de réduction d’émission (paragraphe 108 de la Décision) dont il reste à voir quel dispositif concret elle peut soutenir. Ce sera un des objectifs des prochaines conférences en mai à Bonn.

Références
Dietz, S., Bowen, A., Dixon, C., & Gradwell, P. (2016). Climate value at risk of global financial assets. Nature Climate Change.
Espagne, É., Aglietta, M. (2016). Climate and finance systemic risk, more than an analogy ? The climate fragility hypothesis. Working paper CEPII, forthcoming, may 2016.
European Systemic Risk Board (2016). Too late, too sudden: transition to a low carbon economy and systemic risk. Report of the advisory scientific committee. N°6.
Fama, E. F. (1998). Market efficiency, long-term returns, and behavioral finance. Journal of financial economics, 49(3), 283-306.
International Monetary Fund (2016). Adequacy of the global financial safety net.IMF staff report. March 2016.
Minsky, H.P., (1982). The Financial-instability Hypothesis: Capitalist Processes and the Behaviourof the Economy., in Financial Crises: Theory, History, and Policy, ed. by C.P. Kindleberger and J.-P. Laffargue (Cambridge, UK: Cambridge University Press), 13-39.


[1] Le précédent record était de 119 signatures de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer en 1982.
[2] En 2012, durant la COP 18, un amendement au protocole de Kyoto, dit amendement de Doha, a été adopté. Il définit la deuxième période d'application du protocole pour la période 2013-2020. Nombre de pays qui avaient pris des engagements pour la première période ne l’ont pas fait pour cette deuxième période. Cet amendement n’entrera certainement jamais en vigueur.
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