Le blog du CEPII

La France de plus en plus proche du « privilège exorbitant »

En 2018, la France finance toujours plus ses IDE à l’étranger en empruntant au reste du monde… et finance ainsi son déficit commercial.
Par Vincent Vicard
 Billet du 15 juillet 2019


Les statistiques annuelles 2018 de la balance des paiements récemment publiées par la Banque de France montrent que la spécificité du financement extérieur français (financement des investissements directs à l’étranger par l’emprunt au reste du monde) se renforce, rapprochant ainsi toujours plus la France de la situation de « privilège exorbitant » des Etats-Unis.

L’excédent du stock d’IDE en hausse en 2018

Les investissements directs à l’étranger des entreprises mères françaises ont fortement augmenté : ils s’établissent à 87 Mds d’euros sur l’année, soit une hausse de 137 % par rapport aux flux de 2017. Les investissements directs étrangers (IDE) entrants (IDE des résidents étrangers en France) n’ayant progressé que de 20 %, le solde net ressort à 55 Mds d’euros en 2018 (après 10 Mds en 2017).

Ces flux d’IDE nets positifs viennent accentuer l’excédent sur le stock d’IDE et renforcer la particularité de la France quant au financement de ses investissements. La composition de sa position extérieure nette[1] singularise en effet l’économie française : la France à une position nette positive pour les IDE et négative pour les investissements de portefeuille et les autres investissements. En 2018, la position nette d’IDE a augmenté de 56 Mds (du fait notamment de la hausse des IDE français à l’étranger), accentuant encore plus l’excédent pourtant relativement stable depuis 2015. De l’autre côté, la position nette des autres investissements se dégrade de 73 Mds, alors que les investissements de portefeuille restent stables (+1.6 Mds). Le graphique 1 montre que cette différence de composition de l’actif et du passif de la position extérieure nette française s’accentue depuis 2006.
 

Graphique 1 : position extérieure nette de la France et ses composantes (en Mds d’euros)
Source : Banque de France

 

Une spécificité qui se rapproche de celle des États-Unis

L’image d’une France qui investit à l’étranger sous la forme d’IDE particulièrement rémunérateurs et se finance sous la forme de prêts ou de titres de dette à faible taux d’intérêts ressemble donc de plus en plus à celle des États-Unis bénéficiant du « privilège exorbitant » du dollar. Gourinchas, Rey et Sauzet (2019)[2] définissent le « privilège exorbitant » comme la capacité des États-Unis à réaliser « une marge d'intermédiation sous la forme d'un rendement excédentaire sur ses actifs (risqués) par rapport à ses engagements (sûrs) ». De sorte que malgré leur position extérieure nette déficitaire (les États-Unis sont emprunteurs nets vis-à-vis du reste du monde), les États-Unis bénéficient de revenus d’investissement nets positifs depuis plus de trois décennies.

La France est aujourd’hui dans cette situation, et l’année 2018 vient encore l’accentuer. Les revenus d’investissement enregistrés dans le compte courant montrent ainsi que malgré son endettement net vis-à-vis du reste du monde (- 385 Mds d’euros), la France bénéficie de flux de revenus d’investissements positifs, de 1,3 % du PIB en 2018 (graphique 2). Le solde des revenus d’IDE de 43 Mds compense ainsi largement le solde négatif sur les revenus des investissements de portefeuille (- 16 Mds), les revenus des autres investissements affichant un solde positif mais marginal (+ 3 Mds).

Une partie de ces revenus reflète l’évitement fiscal des multinationales[3] mais les effets de composition sur la position extérieure nette contribuent également à cette divergence entre stock et flux de revenus d’investissement associés.
 

Graphique 2 : solde des revenus d’investissement et composantes (en Mds d’euros)

Source : Banque de France

 


Une géographie des revenus d’IDE recentrée sur le G7 et la Chine

Autre élément intéressant à noter quant aux revenus d’investissement : l’évolution de la géographie des revenus d’IDE, qui reflètent la localisation des profits des multinationales. Les données de revenus montrent que les profits enregistrés dans certains paradis fiscaux et pays de conduit baissent depuis 2016, alors qu’ils augmentent dans les pays du G7+Chine (graphique 3). Cette baisse est tirée par pays de l’UE - Belgique (- 57 % sur 2017/2018 par rapport à 20115/2016), Pays-Bas (- 48 %) et Irlande (- 23 %) -, alors que Singapour ou Hong-Kong enregistrent des hausses. Est-ce là le reflet des politiques anti évitement fiscal mises en place en Europe dans le cadre du plan BEPS (pour Base Erosion and Profit Shifting) ? À suivre…

 

Graphique 3 : géographie des profits des filiales de maisons mères françaises (crédits de revenus d’IDE hors intérêts sur prêts intra-groupe, en Mds d’euros)

Source : Banque de France

 


[1] La position extérieure nette mesure le stock net d’investissement des résidents français vis-à-vis du reste du monde. Son niveau ressort à -385 Mds d’euros en 2018, soit 16,4 % du PIB, très proche du niveau de 2017 (- 381 Mds, 16,6 % du PIB) et du même ordre que celui de 2013 (- 350 Mds, 16,5 % du PIB).

[2] Gourinchas, Rey et Sauzet (2019) « The International Monetary and Financial System” forthcoming Annual Review of Economics, 2019.

[3] Voir V. Vicard (2019) « L’évitement fiscal des multinationales en France : combien et où ? » Lettre du CEPII, n° 400.

Politique économique 
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