Le blog du CEPII

Inclusion du secteur de l'aviation dans le système de permis négociables : l’UE dos au mur

L’UE a adopté des mesures cherchant à limiter les émissions de CO2 des exploitants d’aéronefs qui ont une activité sur son sol. Cette initiative est aujourd’hui menacée : une large coalition de pays s’y opposent fermement.
Par Stéphanie Monjon
 Billet du 10 avril 2012


L’avancée majeure de la négociation internationale sur le climat qui s’était tenue à Copenhague en 2009 avait été de faire émerger un consensus sur la nécessité de contenir l’augmentation de la température de la planète en dessous de +2°C, par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1899). Cette conclusion avait été reprise l’année suivante dans l’accord de Cancun qui avait été signé par la quasi-totalité des pays ; seule la Bolivie s’était abstenue. Ce consensus mondial sur la nécessité d’agir pour protéger le climat a été réaffirmé par l’accord trouvé à Durban, fin 2011, d’établir d’ici 2015 un pacte global de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) impliquant les Etats Unis, la Chine, ou encore l’Inde. On peut alors s’étonner du bras de fer qui est en train de se jouer entre l’Union Européenne, d’une part, et une large coalition de pays, où l’on retrouve la Russie, l’Inde, les Etats Unis ou encore la Chine.

Qu'a décidé l'Union Européenne ?

Face aux faibles progrès réalisés par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pour trouver un accord visant à réduire la contribution des émissions de l'aviation aux changements climatiques, l’UE a décidé d’adopter des mesures cherchant à limiter les émissions de CO2 des exploitants d’aéronefs qui ont une activité dans l’Union européenne. Depuis le début 2012, les compagnies aériennes sont intégrées au système de permis négociables d’émissions de GES mis en place en 2005 pour limiter les émissions des industries énergétiques et manufacturières. Quelques 5 000 compagnies aériennes, européennes et étrangères, sont concernées.

Concrètement, les compagnies aériennes devront disposer d’un nombre de permis d’émission (appelé aussi quotas d’émission) équivalent aux émissions qu’elles génèrent lors de leurs vols en partance, ou à destination, de l’UE. Néanmoins, les exploitants d’aéronefs n’auront pas à acheter la totalité des permis qui leur seront nécessaires pour être en conformité avec la réglementation européenne, puisqu’ils en recevront une partie gratuitement, en fonction de leurs émissions passées. Deux cas sont alors possibles : soit les permis gratuits dont une compagnie aérienne dispose ne sont pas suffisamment nombreux pour couvrir ses émissions et cette dernière devra alors acheter des quotas supplémentaires sur le marché ; soit une compagnie génère une quantité d’émissions moins importante que le nombre de permis gratuits qu’elle reçoit, et elle peut alors les vendre sur le marché, ou les garder pour les utiliser les années suivantes (on parle alors d’épargne). Dans tous les cas, la compagnie aérienne va être incitée à minimiser ses émissions.

Afin d’éviter les distorsions de concurrence et d’améliorer l’efficacité environnementale de la mesure, l’UE a décidé d’appliquer cette mesure à tous les vols à l’arrivée, ou au départ, des aérodromes communautaires, ainsi qu’à toutes les compagnies aériennes qui ont une activité en Europe, et ce quelle que soit leur nationalité.

Pourquoi s’intéresser aux émissions de l’aviation ?
 
En 2005, le secteur de l’aviation (civile) était à l’origine de 9% des émissions mondiales de CO2 liées au transport. Le secteur des transports représentant un quart des émissions mondiales, l’aviation représentait 2,3% des émissions mondiales de CO2 (UE, 2012). Mais l’impact du secteur de l’aviation n’est pas confiné aux seules émissions de CO2 : en tenant compte également de l’impact des émissions non-CO2, le secteur de l’aviation est responsable de 3,5% du réchauffement total du climat attribué aux activités anthropiques, et à 4,9% si on tient compte des effets des cirrus (sorte de nuages) générés par l'activité aérienne. Les émissions des transports internationaux représentaient 62% des émissions totales de l’aviation en 2006 (UNEP, 2011).

De plus, les émissions des exploitants d’aéronefs sont celles qui croissent le plus rapidement : elles ont plus que doublé ces 20 dernières années et pourraient augmenter de 70% d’ici 2020, et de 700% en 2050 (par rapport aux émissions de 2005).

Au niveau communautaire, l’objectif est de réduire les émissions du secteur de l’aviation de 3 % en 2012, par rapport à la moyenne de ses émissions annuelles historiques (2004-2006), puis de 5 %, en moyenne, sur la période 2013-2020.

Quelle a été la réponse des autres pays ? 
 
Au vu des résultats des dernières négociations climatiques, on aurait pu espérer que cette initiative européenne incite les autres grands émetteurs à trouver rapidement un accord pour limiter les émissions du secteur de l’aviation. D’autant plus que la Commission européenne s’est dite prête à exempter les compagnies aériennes des pays qui choisiraient d’adopter des mesures domestiques équivalentes. Mais la réaction a été toute autre, les partenaires de l’UE considérant généralement que la législation européenne est une mesure extraterritoriale illégale et porte atteinte à leur souveraineté. Qu’on en juge :
- En 2009, plusieurs compagnies aériennes américaines et canadiennes contestent leur inclusion dans le système communautaire de permis négociables devant la Haute Cour de justice anglaise et galloise, qui saisit la Cour de justice de l'UE (CJUE) sur la validité de cette réglementation au regard du droit international. En décembre 2011, la CJUE conclut à la validité de la mesure.
- En novembre 2011, la Chine menace l’UE de rétorsions commerciales, notamment contre le constructeur Airbus, si ses compagnies ne sont pas exemptées de cette obligation. Le même mois, l'OACI adopte une résolution non contraignante dans laquelle elle recommande d'exempter les compagnies étrangères de cette obligation.
- En décembre 2011, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, adresse une lettre à la commissaire chargée du climat, Connie Hedegaard, lui demandant de renoncer à cette mesure, ou au moins de différer sa mise en œuvre, sous peine de "mesures appropriées". Le mois précédent, la Chambre des représentants des Etats Unis avait adopté un projet de loi interdisant aux compagnies aériennes américaines de s'acquitter de cette obligation.
- En février 2012, suite à une réunion organisée par la Russie, avec l’appui des Etats Unis, les représentants de 29 pays ont signé une déclaration commune s’opposant à l’obligation imposée par l’UE à toutes les compagnies aériennes et listent des mesures de représailles possibles, si la mesure est maintenue.
- En mars 2012, la compagnie aérienne Hong Kong Airlines, filiale du transporteur chinois Hainan Airlines, menace d’annuler sa commande de dix gros-porteurs Airbus A380 et le gouvernement indien de geler l’octroi de nouveau droit de trafic pour le survol de l’espace aérien indien aux compagnies européennes.
 
Malgré le soutien récent de 26 économistes de renommée mondiale - dont 5 Prix Nobel - qui ont adressé au Président Obama une lettre lui adjurant de cesser son opposition à l’initiative européenne, l’UE se retrouve dos au mur. Il lui est en effet difficile de faire marche arrière sans décrédibiliser son action en faveur de la protection du climat. Quoiqu’il en soit, la crédibilité des négociations climatiques internationales, et de l’ensemble des accords qui ont été récemment conclus, est d’ores et déjà entamée. 
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