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QE à l’européenne : comment soutenir l’investissement ?

La BCE achètera mille milliards d’euros de titres de créance publics et privés d’ici septembre 2016. Ce programme d'assouplissement quantitatif pourrait faciliter le financement des projets d'investissement européens et des activités du secteur privé porteuses de croissance.
Par Urszula Szczerbowicz, Natacha Valla
 Billet du 20 avril 2015


La Banque centrale européenne (BCE) achètera un montant mensuel de 60 milliards d’euros de titres de créance publics (Public Sector Purchase Programme - PSPP) et privés (Asset Backed Securities et Covered Bond Purchase Programmes) entre mars 2015 et septembre 2016 - une valeur totale d’environ mille milliards d’euros. C’est de loin le plus grand programme d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing - QE) mené dans la zone euro. Bien que le calendrier et la taille des achats soient connus, l’Eurosystème dispose d’une marge de manœuvre dans le choix des actifs achetés.

Le QE se focalise aujourd’hui sur les achats des obligations souveraines, principalement allemandes et françaises, dont les taux sont déjà exceptionnellement bas. Leur impact sur l’inflation et le crédit risque d’être limité. Et si l'Eurosystème changeait sa stratégie de QE et achetait des actifs qui soutiennent directement le financement de l’économie réelle ? Le QE de la BCE pourrait en effet faciliter le financement direct des activités du secteur privé porteuses de croissance. Le programme pourrait également soutenir des projets d'investissement européens ou initiatives conjointes, telles que - mais pas seulement - le Plan Juncker.


Acheter des titres d’agences et d’institutions internationales européennes qui soutiennent l’investissement

L’Eurosystème est autorisé dans le cadre du PSPP à acheter les titres émis par les institutions qui financent des projets d'investissement européens, telles que la Banque européenne d'investissement (BEI). Ces achats semblent souhaitables parce qu’ils sont orientés vers les objectifs de croissance à long terme tout en soutenant la demande insuffisante de la zone euro. Ils approfondissent également l'intégration européenne, ce qui n‘est pas un luxe dans le contexte européen actuel ! A ce jour, les achats de ces titres par l’Eurosystème sont limités à 12% du programme. Augmenter sensiblement cette limite rendrait le QE plus efficace.

Dans son programme d’achats de titres publics, la BCE établit une distinction entre les « agences » nationales garanties par les Etats et les « institutions européennes ». Cette distinction pourrait s’avérer essentielle car contrairement aux titres des institutions européennes, les achats de titres d’agences ne sont pas contraints par le plafond de 12%. La BCE a indiqué que les banques centrales nationales pourraient choisir elles-mêmes entre les obligations souveraines ou celles des agences, et que si elles n’étaient pas en mesure d'exécuter les achats mensuels prévus de ces titres, elles auraient la possibilité d'acheter des obligations des "institutions européennes" à la place. Cela signifie que la BCE serait en mesure de soutenir massivement l'investissement public tout simplement en achetant des obligations des banques nationales d’investissement, telles que la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW) ou Instituto de Credito Oficial de l'Espagne (ICO), ou de la BEI, ou même les instruments émis dans le cadre du Plan Juncker, à la place de leurs homologues souverains.

Les achats de titres émis par les agences pourraient devenir l'épine dorsale du QE. Cependant, pour cela, il faudra que les Banques centrales nationales fassent preuve de discernement dans leurs achats pour éviter des mécontentements inutiles. Il semble que les banquiers centraux l’ont bien compris. En effet, la liste des organismes admissibles mise à jour par la BCE le 15 avril couvre une gamme d’institutions plus large que précédemment. Certes, cette liste inclut encore des organismes comme la CADES et l'Unedic - des organismes qui ont peu à voir avec l'investissement et la croissance à long terme. Les autorités monétaires ont jugé judicieux de leur adjoindre des émetteurs plus « orthodoxes » pour éviter une éventuelle désapprobation des opinions publiques européennes.


Utiliser le QE pour diversifier la structure de financement de l'économie de la zone euro

Mais un financement direct de l'économie réelle par la BCE pourrait prendre une autre forme : les achats substantiels des titres émis par les sociétés non financières. Jusqu’à présent, la BCE a privilégié les achats de titres du secteur financier, tels que les obligations sécurisées des banques et les ABS. Cependant, cette focalisation sur les titres émis par les banques est problématique car le secteur bancaire est engagé dans un long processus de consolidation de bilan et ses capacités d’augmenter l'offre de crédit restent limitées. En optant plutôt pour les instruments financiers émis directement par des entreprises, la BCE offrirait un financement alternatif aux entreprises pour mener à bien leurs projets d’investissement, et ce faisant accélérerait sans doute la reprise de l'économie de la zone euro.

Les achats des obligations d'entreprise par la BCE et l’intervention directe dans le développement de ces marchés en Europe n’est pas sans risque. Néanmoins, cette politique peut être constructive si elle est conduite avec précaution. Tout d'abord, le développement des marchés obligataires européens doit aller de pair avec une réglementation appropriée. Deuxièmement, l'impact d’interventions potentiellement massives de la BCE sur la liquidité des marchés devrait être minimisé. Ces questions pourraient être coordonnées dans le cadre de l’Union des marchés des capitaux (Capital Markets Union - CMU) prévue par la Commission européenne.
 
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