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De quoi CETA est-il le nom ?

L’accord de libre échange entre l’Union Européenne (UE) et le Canada, le CETA, devrait être signé le 27 octobre prochain. Voici un exposé du contenu de cet accord de deuxième génération, qui n'est pas le premier dans son genre, mais le premier entre l'UE et l’un de ses principaux partenaires commerciaux.
Par Cecilia Bellora, Jean Fouré
 Billet du 18 octobre 2016


Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), ou Accord Économique et Commercial Global entre l’UE et le Canada, devrait être signé à Bruxelles le 27 octobre prochain, lors de la venue en Europe du Premier Ministre du Canada. Les débats sont déjà vifs sur son contenu, les opportunités et les risques engendrés. Ils se font parfois sur de mauvaises bases : le texte de l’accord est long et complexe, difficile à saisir dans sa totalité. Avant même d’amener des arguments pour ou contre, il nous semblait donc important d’en résumer le contenu avec précision, afin d’éclaircir le débat.

Avant d’entrer dans les détails, qu’est-ce que le CETA et où en sommes-nous de la procédure législative menant à la conclusion de l’accord?

 Il s’agit d’un accord commercial international entre deux partenaires importants : l’UE, deuxième marché d’exportation du Canada après les États-Unis, et le Canada, douzième partenaire européen. Les échanges bilatéraux de biens entre ces deux pays ont dépassé les 63 milliards d’euros en 2015. Il s’agit d’un accord dit « de deuxième génération » : il ne réduit pas uniquement les barrières tarifaires au commerce des biens mais également les mesures non tarifaires ainsi que les obstacles au commerce des services, y compris sur les marchés publics. En effet, les enjeux en termes de commerce se situent au-delà des droits de douane, qui sont déjà très faibles (en 2013, le droit moyen était  de 4,6% pour les exportations européennes à destination du Canada et 3,3% pour les exportations canadiennes à destination de l’UE) [1].  En allant aussi loin dans son contenu, le CETA suscite des  inquiétudes et donc des débats animés.

La signature n’est qu’une étape, et qui n’est pas la première : le 18 octobre, le Conseil européen devra autoriser la signature, qui interviendrait le 27. Suivra le vote du Parlement européen, qui lancera le processus de ratification par les États membres, selon leurs législations nationales. En France, l’accord sera soumis au vote de l’Assemblée nationale et du Sénat. Mais, une fois qu’il sera signé et approuvé par le Parlement européen, le Conseil européen en autorisera probablement l’application provisoire.

Précisons dès lors ce que l’accord contient. Le CETA prévoit d'éliminer la quasi-totalité des droits de douane entre UE et Canada : d'ici 7 ans, 98,6 % des lignes tarifaires (les différentes catégories de biens qui sont échangés) seront libres de droit de douane à l’entrée du Canada, et 98,7 % à l’entrée de l’UE. La vaste majorité de ces suppressions sera réalisée dès l’entrée en vigueur (même provisoire). Si les biens industriels et les produits de la pêche sont tous concernés, ce n’est pas le cas des produits agricoles : certains secteurs sont complètement exclus des baisses de droit de douane (poulet, dinde et œufs), tandis que d’autres ne seront exonérés de droit de douane que dans la limite d’un quota annuel (on parle de contingent tarifaire). Cette mesure concerne les importations de fromage par le Canada, et les importations bœuf, porc et maïs doux par l’UE, les négociations ayant été en partie construites sur un accord « bœuf contre produits laitiers ». Le Canada pourra importer jusqu'à 18 500 tonnes de fromage européen sans droit de douane (soit 17 700 tonnes supplémentaires), ce qui représente environ le double de ses importations actuelles et 4% du marché canadien. Côté européen, c’est la viande bovine qui est la plus concernée, avec un total de 67 950 tonnes de viande exonérées (dont 48 838 tonnes nouvellement crées par le CETA), ce qui reviendrait à multiplier par 200 les importations actuelles, mais correspondrait à 0,6 % du marché européen selon la Commission Européenne. Enfin, les restrictions à l’exportation sont aussi levées par défaut, par exemple pour les exports d’énergie du Canada vers l’Union Européenne.
 
Le CETA comprend aussi des dispositions sur les mesures non tarifaires. Ces dispositions sont très diverses, allant de la simple reconnaissance de normes dans un secteur particulier (par exemple, le Canada va souscrire à 3 normes internationales en matière d’automobile et, dans le cadre des négociations, l’UE a déjà modifié une norme alimentaire, en autorisant l'utilisation d'eau chaude recyclée, en plus de l'eau chaude potable, dans le traitement des carcasses animales) jusqu’à des mesures plus fondamentales. Le CETA introduit en effet deux nouveautés. La première était attendue en particulier par les industriels du secteur automobile : les organes de certification de l’un des partenaires pourront être habilités, après approbation des autorités compétentes, à délivrer des certifications pour le marché de l’autre partenaire, de façon à éliminer les procédures en doublon pour les entreprises exportatrices et ce sans changer les normes en elles-mêmes. Ensuite, il crée un Forum de coopération réglementaire qui ouvre la possibilité, sans que ce soit obligatoire, d’offrir au partenaire un accès privilégié à son processus de réglementation (échange d’informations, fourniture d’avant-projets, consultations des entités privées de l’autre partenaire). L’idée serait, à terme, de favoriser une convergence des nouvelles normes entre les partenaires. C’est pour cette raison que l’on dit à propos du CETA qu’il est un « accord vivant ». Le Canada s’est aussi engagé à protéger sur son territoire certaines indications géographiques européennes supplémentaires (un protocole sur les vins préexistant en protégeait déjà), au nombre de 145, ce qui semble à première vue recouvrir les produits autres que les vins qui sont effectivement échangés actuellement. Cette protection est comparable à celle de l’UE pour 124 d’entre elles, comme par exemple pour le Maroilles, mais les 21 autres devront cohabiter avec des produits canadiens déjà existants utilisant ces appellations (comme la feta ou le jambon de Bayonne). Les indications géographiques européennes sont déjà reconnues par certains pays, mais par aucun partenaire nord-américain, d'où la mise en avant de cet engagement canadien par les européens. D'ailleurs, un fort lobby agricole américain est en train de se mettre en place pour empêcher l'application de cette reconnaissance par le Canada.

En sus des biens, l’accord prend aussi des dispositions importantes sur les services. Pour la première fois dans un accord commercial de l’Union européenne, c’est une approche dite de « liste négative » qui est adoptée, c’est-à-dire que les engagements réciproques s’appliquent à tous les secteurs de services, à l’exception des réserves sectorielles ou de principe explicitement mentionnées dans les (longues) Annexes I et II de l'accord. Tandis que la première annexe garantit que la réglementation ne pourra pas être plus contraignante que les mesures qui y sont inscrites – par exemple pour ce qui est du secteur minier ou des services environnementaux en UE – l’Annexe II va plus loin en autorisant de réduire dans le futur l’accès aux entreprises du partenaire, comme dans le secteur de l’éducation, de la santé ou de la distribution d’eau pour l’UE. À défaut, l'accès au marché est garanti, c'est-à-dire pour tout service ou toute mesure qui n'est pas cité dans ces annexes, sans traitement préférentiel des entreprises nationales, et en garantissant une meilleure transparence. Le transport maritime ou les services postaux au Canada seront ainsi libres d'accès pour les entreprises européennes. La fourniture de services par les États est aussi concernée par l’accord : lors des ouvertures de marchés publics (achats par des organismes publics), à tous les niveaux de gouvernement en UE et au Canada – c’est une première au Canada– il est interdit de favoriser une entreprise nationale contre une entreprise du partenaire. Le CETA définit cependant des exceptions générales (pour la sécurité ou la santé, ou bien si les montants en jeu sont faibles) ou particulières (les services postaux en UE ou les entreprises autochtones au Canada).

Enfin, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs privés et États constitue un des éléments les plus controversés de l’accord. D’ailleurs, suite à la polémique, principalement liée aux mécanismes du même ordre négociés dans le TTIP, la phase de révision juridique, qui habituellement n’est qu’un toilettage du texte, a permis d’amender le CETA sur ces points en 2015, bien que la négociation ait été déclarée terminée en août 2014. Ces modifications ont abouti à la mise en place d’un tribunal permanent, composé d’au moins 15 membres (juristes ou ayant les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour être nommés à des fonctions judiciaires), nommés pour 5 ans. Il sera compétent pour juger du non respect des obligations en matière de protection des investissements. Ces obligations concernent principalement le traitement non-discriminatoire des investisseurs du partenaire et l’interdiction d’expropriation, directe ou indirecte, sans rémunération des pertes subies. La justification et la façon de protéger les investissements restent complexes et épineuses mais le CETA a au moins le mérite d’essayer de faire bouger les lignes en la matière par rapport aux autres traités d’investissement en vigueur [2]. 

Au final, cet accord va très loin et touche à des éléments sensibles, comme les normes (et donc la protection des consommateurs) ou l'ouverture des marchés publics, tout comme le TTIP/TAFTA, bien qu’il n’en affichait initialement pas les mêmes ambitions. Néanmoins, il semble qu'une meilleure réciprocité dans les concessions entre l’UE et le Canada a permis de trouver un accord alors que les négociations entre l’UE et les États-Unis sont aujourd'hui en suspens. Il reste maintenant au CETA une étape décisive : son contenu si ambitieux sera-t-il considéré souhaitable par les représentants des peuples européens et canadiens ? Le récent vote par deux chambres parlementaires régionales de Belgique, demandant à l’exécutif fédéral de ne pas signer le CETA semble indiquer que la réponse n’est pas évidente.
 

[1] Source : calculs des auteurs à partir de MAcMap-HS6. Pour plus de détails sur les accords de deuxième génération, voir http://www.cepii.fr/BLOG/fr/post.asp?IDcommunique=183 dans le cas UE – US.
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