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Suisse et Pologne : des enjeux électoraux parfois proches mais des votes contrastés  

La droite populiste suisse est arrivée en tête des élections fédérales du 22 octobre 2023. Lors de la campagne électorale, les préoccupations climatiques étaient toujours là, mais elles ont été largement concurrencées par des inquiétudes relatives au coût de la vie et à l'immigration.
Par Deniz Ünal
 Billet du 31 octobre 2023


Lors des élections fédérales du 22 octobre, les Suisses ont renforcé une majorité sortante populiste, au détriment des écologistes. L’enjeu phare du scrutin, cette fois, n’a pas été l’environnement, mais l’immigration. Elle avait aussi été l’un des thèmes principaux des législatives polonaises qui, une semaine plus tôt, ont donné une large et surprenante avance à la coalition centriste pro-européenne sur le parti conservateur populiste au pouvoir depuis 2015.

La Suisse n’est certes pas la Pologne, plus de quatre fois moins peuplée avec près de 9 millions d’habitants contre près de 38 millions en Pologne. C’est une économie avancée, très attachée à sa neutralité géopolitique, membre de l’Association européenne de libre-échange, mais pas de l’Union européenne qu’elle ne souhaite pas intégrer. La Pologne, elle, considérée comme la plus grande économie émergente de l’Union européenne par le Fonds monétaire international ; est un membre très engagé de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.

Composer avec une démographie déclinante

La Pologne et la Suisse ont cependant des traits communs, à commencer par une démographie déclinante. Leur taux de fécondité est similaire : respectivement 1,46 et 1,50 enfant par femme en 2021 selon les Nations unies. Cela se traduit, en Pologne, par un taux de croissance annuel moyen de la population négatif entre 2011 et 2021 (-0,08 % par an, contre +0,31 % en Europe et +1,12 % dans le monde).

Tandis qu’en Suisse, sur la même période, ce taux a crû de +0,95 % grâce à un flux constant d’immigration depuis plusieurs décennies, mais qui suscite désormais des inquiétudes. Selon l’Office fédéral de la statistique suisse, la part des résidents étrangers dans la population totale est passée de 14 % en 1980 à 26 % en 2022. 82 % d’entre eux sont issus d’Europe, d’abord d’Italie et d’Allemagne (14 % dans les deux cas), puis du Portugal (11 %).

De son côté, la Pologne, jadis pays d’émigration qui a alimenté les marchés du travail américain et européen, ne recourt que depuis peu à l’immigration – de façon sélective – pour pallier son déclin démographique. Selon Eurostat, elle est devenue le pays de l’Union européenne qui délivre le plus de permis de résidence aux étrangers (Biélorusses, Russes et Turcs en tête) : 970 000 permis en 2021, soit plus d’un tiers du total accordé par l’ensemble des 27. En 2022, le pays a accueilli plus de 1,3 million d’Ukrainiens, en majorité des femmes et des enfants fuyant la guerre déclenchée par la Russie.

Le pouvoir d’achat, l’autre enjeu majeur

L’économie polonaise, étroitement liée aux chaînes de valeur allemandes, est plus touchée par la récession chez sa grande voisine de l’Ouest (-0,5 % prévue en 2023) que la Confédération helvétique. Il faut dire que l’Europe, et l’Allemagne en particulier, compte moins pour la Suisse que pour la Pologne (graphique 1) : respectivement 46 % et 15 % en 2021 des exportations suisses y sont destinées, contre 83 % et 28 % de celles de la Pologne. Le FMI prévoit une croissance du PIB en 2023 de 0,6 % en Pologne et 0,9 % en Suisse (respectivement 5,1 % et 2,7 % en 2022).

Toutefois, l’inflation, qui pèse sur le pouvoir d’achat, a plus augmenté en Suisse d’où elle part, il est vrai, de très bas : elle y a quasiment quintuplé (2,8 % en 2022 contre 0,6 en 2021) tandis qu’elle triplait en Pologne (14,4 % en 2022 contre 5,1 en 2021). À côté de l’immigration, le prix croissant des assurances maladie, toutes privées dans la Confédération helvétique, est ainsi devenu l’un des principaux thèmes de la dernière campagne électorale.

La Suisse n’en reste pas moins l’un des pays avancés les plus riches au monde. Son PIB réel par habitant en parité de pouvoir d’achat a certes connu une baisse relative depuis 1960 (il était alors 6,5 fois supérieur à la moyenne mondiale). Il n’en dépasse pas moins, aujourd’hui encore, celui des États-Unis et se situe largement au-dessus de la moyenne européenne (graphique 2).

Le maintien du haut revenu helvétique tient notamment à la spécialisation très dynamique du pays dans le commerce international (graphique 3). Celle-ci est marquée par un engagement fort dans les produits chimiques et électroniques. La Suisse y dégage des excédents croissants, surtout grâce à ses exportations de produits de santé : de produits pharmaceutiques d’abord, et, en amont, de produits de la chimie organique, ainsi que d’équipements de technologie médicale.

Autant d’observations qui attestent que les réalités économiques, en Europe comme ailleurs, ne priment pas toujours dans les choix électoraux.


Pour approfondir la question de l’insertion internationale de l’économie suisse, voir les pages interactives Les Profils du CEPII.The Conversation

Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPII

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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