Le blog du CEPII

« Les déséquilibres engendrés par l’Union européenne fragilisent le système commercial international »

Le plan protectionniste « anti-inflation » mis en place par les États-Unis est une bonne nouvelle pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais pourrait déséquilibrer le commerce international. Pour Vincent Vicard, ce dilemme se pose aussi pour les Européens, qui doivent arbitrer entre ouverture commerciale et protection de leur industrie.
Par Vincent Vicard
 Billet du 19 décembre 2022 - Dans les médias


Quelques mois après son vote par le Congrès américain, l’Inflation Reduction Act suscite craintes et réactions politiques côté européen, au point d’avoir été un enjeu central de la visite d’Emmanuel Macron à la Maison-Blanche en novembre. Si les réactions sont si virulentes, ce n’est pas sur le fond du plan, mais sur sa forme, qui renvoie les dirigeants européens face à certaines de leurs contradictions et de leurs limites.

Sur le fond, l’Inflation Reduction Act, dans son volet climatique, remet enfin les États-Unis dans le sens de l’agenda de lutte contre le réchauffement climatique mondial, ce dont on ne peut que se réjouir. Sur la forme, par contre, certaines subventions ont clairement une dimension protectionniste et favorisent l’industrie nord-américaine au détriment des producteurs étrangers. Une telle rupture avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, même si elle n’est pas nouvelle du côté des États-Unis, suscite légitimement des réactions de leurs partenaires européens, mais également japonais ou coréens, et fait craindre l’enclenchement d’une course aux subventions et aux mesures protectionnistes.

Rééquilibrer le commerce international

Au-delà d’éventuelles exemptions qui pourraient être négociées, ce conflit souligne surtout certaines ambiguïtés de la position européenne sur le libre-échange et la défense de son industrie. Si les Européens respectent la lettre des règles du commerce international, ils n’en sont en effet pas nécessairement les bons élèves. Nous sortons ainsi d’une décennie d’excédents commerciaux massifs de l’Union européenne, les États-Unis de leur côté connaissant un déficit commercial structurel.

En produisant plus de biens qu’ils n’en consomment, les Européens exportent ainsi leur déficit de demande vers le reste du monde, et contribuent (aux côtés d’autres pays dont la Chine) à la désindustrialisation de l’économie américaine. Ces déséquilibres, que rien ne justifie sur une telle durée pour une grande région riche, fragilisent le système commercial international construit depuis la Seconde Guerre mondiale et la position européenne aujourd’hui. Et le fait que les excédents soient concentrés dans certains pays, Allemagne, Pays-Bas et pays d’Europe centrale en tête, ne fait que renforcer les divergences d’intérêts entre Européens.

Favoriser l’émergence des technologies de demain

Ne nous y trompons donc pas, la situation européenne n’est pas celle de la France : sur l’ensemble du continent, l’industrie a bien résisté ces dernières décennies. Les questions industrielles qui doivent être posées sont celles de la répartition de l’activité entre pays européens et des moyens de favoriser l’émergence des industries dont nous aurons besoin demain, en particulier dans le cadre de la transition écologique. Et non pas d’augmenter la part de l’industrie dans le PIB européen, au-delà du soutien temporaire en période de crise énergétique.

De ce point de vue, répondre à l’Inflation Reduction Act par un Buy European Act qui mobiliserait la commande publique au profit des entreprises européennes de manière indiscriminée apparaît pour le moins étonnant. Et ce d’autant plus que les États-Unis, qui ont de longue date leur Buy American Act, sont aujourd’hui un des pays riches les plus désindustrialisés avec la France.

S’il y a un exemple à prendre du côté des États-Unis, c’est dans leur capacité à faire émerger des technologies de pointe, qui ont permis notamment l’apparition des géants du numérique. Et c’est bien l’ambition de l’Inflation Reduction Act, en assumant une politique industrielle qui subventionne certains secteurs et technologies verts, financée pour une large part par une taxe sur les grandes entreprises et la lutte contre l’évasion fiscale.

Concilier des objectifs contradictoires

Plus largement, cet épisode nous donne à voir les contradictions dans les objectifs politiques : comment concilier une politique ambitieuse de lutte contre le réchauffement climatique tout en maintenant un système commercial ouvert ? Si des solutions négociées entre pays partenaires apparaissent idéales, comment faire lorsque l’acceptation de telles politiques environnementales passe par des mesures protectionnistes favorables au tissu industriel local ?

De leur côté, les Européens projettent eux aussi un mécanisme d’ajustement carbone à la frontière, qui instaurera des barrières aux échanges pour préserver la compétitivité des secteurs soumis à une tarification du carbone. Ces questions de conciliation de différents objectifs parfois contradictoires pour un gouvernement et de mise en cohérence de différentes politiques économiques entre pays ne souffrent pas de réponse simple.

Elles se poseront de façon d’autant plus criante, dans les années à venir, que la transition écologique entraînera des ruptures industrielles et que la gestion de leurs conséquences sera cruciale pour les tissus industriels nationaux, leurs entreprises et leurs salariés. Le basculement vers la voiture électrique, au cœur des aides de l’Inflation Reduction Act, en est une parfaite illustration : dans ce secteur, l’enjeu pour les Européens vient d’abord des importations de véhicules électriques en provenance de Chine, largement produits par des constructeurs occidentaux.


Cette tribune est republiée à partir de La Croix. La consulter en intégralité.
Europe  | Commerce & Mondialisation  | Compétitivité & Croissance 
< Retour