Le blog du CEPII

Baisse des prix immobiliers : un phénomène exceptionnel ?

A l’heure où les prix de l’immobilier semblent amorcer une baisse en France, regarder leurs évolutions de long terme permet d’éclairer sur les risques d’une chute brutale.
Par Thomas Grjebine
 Billet du 6 septembre 2013


L’immobilier est souvent jugé comme un investissement sûr, notamment parce que ses prix sont réputés ne jamais baisser sur le très long terme. Qu’en est-il réellement, les prix de l’immobilier sont-ils toujours haussiers sur le très long terme ?
 
En regardant tout d’abord les évolutions sur les 40 dernières années, on peut faire le constat que les prix de l’immobilier sont très cycliques (Tableau 1). Tous les pays connaissent des phases de boom et de baisse des prix et les booms intervenus dans les années 2000 n’apparaissent pas exceptionnels à l’échelle des quarante dernières années. Les prix réels (c’est-à-dire corrigés de l’inflation) ont ainsi davantage augmenté dans les années 1980 en Espagne (+141%) ou en Italie (+63%, et même +88% dans les années 1970) que lors du dernier boom (respectivement +110% et +60%). Au Japon ou au Royaume-Uni, les hausses de prix ont été très fortes dans les années 1970 (respectivement +140% et +64%) et 1980 (+83% et +96%). Les baisses de prix peuvent également être très importantes [1]. Sur les quarante dernières années, les pays du G7 ont tous connu au moins deux épisodes de baisse significative (supérieure à 10%). Dans les années 1980, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne ont même connu des baisses des prix réels de l’ordre de 30%. Les périodes de baisse peuvent aussi être très longues. Les prix ont baissé au Japon de 1991 à 2012 (-46%) et, en Allemagne, de 1995 à 2008. Les baisses n’ont épargné ni la France ni Paris : entre 1991 et 1997, les prix réels ont baissé de près de 46% dans la capitale.
 
Si les prix de l’immobilier ont été très cycliques sur les 40 dernières années, ne connaissent-ils pas pour autant une tendance haussière sur très longue période [2] ? Aux États-Unis, le niveau de prix est aujourd’hui le même qu’à la fin du 19e siècle (Graphique 1) ! Pour retrouver le niveau de prix de 1894, il a même fallu attendre 1990, soit presque un siècle ! Sur les cinquante ans qui suivirent le pic de 1894, la baisse, presque continue, des prix réels a été de 50%. Il est intéressant d’observer que ce niveau de 1894 et 1990 a de nouveau été atteint aux États-Unis en 2000, au démarrage de la bulle immobilière, puis en 2010, après le krach. En Norvège, il est étonnant de constater que sur cent ans (1890-1990) les prix de l’immobilier sont fréquemment revenus au niveau atteint en 1890 (en 1917, 1940, 1970, 1992). Concernant la France et Paris, il est plus difficile de tirer des enseignements sur très longue période, en raison des destructions causées par les deux guerres mondiales et du contrôle des loyers entre 1914 et 1948 qui affecta fortement les prix. La forte hausse du prix des logements entre 1948 et 1965 apparaît alors comme un rattrapage, suite aux trente ans de blocage des loyers : en 1965, les prix de l’immobilier parisien retrouvaient leur niveau d’avant la Première guerre mondiale. Au cours des trente ans suivants (1968-1998), les prix réels n’ont augmenté au niveau national que de 1% par an. A partir de 1998, l’évolution des prix s’éloigne significativement de cette tendance. Fin 2012, les prix réels étaient 43% au-dessus du niveau correspondant à la poursuite de la tendance longue !
 
Ainsi, contrairement à une idée reçue, les prix de l’immobilier ne connaissent pas une tendance haussière sur longue période. Les prix ne sont pas significativement plus élevés aujourd’hui qu’il y a un siècle. Aux États-Unis, le niveau des prix était le même en 2010 qu’en 1894 ; en Norvège le même dans les années 1990 qu’un siècle plus tôt. En France, les prix ont retrouvé, suite à la période de rattrapage, le niveau qui existait avant la Première Guerre mondiale, et n’ont augmenté ensuite, pendant trente ans, que de 1% par an.
 
Même la période récente ne semble pas déroger à ces évolutions de long terme. Depuis 2007, à l’exception de la France, les prix immobiliers ont baissé dans tous les pays qui avaient connu un boom de 2000 à 2007. Les prix réels ont ainsi chuté entre 2007 et 2012 de 25% aux États-Unis, 35% en Espagne, 20% en Italie ou aux Pays-Bas, 33% en Irlande. Même dans les grandes villes, les baisses ont été très importantes. Aux États-Unis, entre le pic de juillet 2006 et mi-2012, les prix ont baissé de 27% Standard & Poor’s Case-Shiller Home Price Indexà New York, 24% à Washington DC, de 38% à Los Angeles, 47% à Miami, et de 60% à Las Vegas (indices nominaux Case-Shiller). A l’inverse, non seulement la France n’a pas connu de baisse significative des prix, mais ils ont même continué à augmenter de façon très importante à Paris (+47% entre 2009 et 2012). Une situation qui au vu des précédents historiques n’est probablement pas amenée à durer.
 
Tableau 1 : Episodes de hausse et de baisse des prix de l’immobilier sur les 40 dernières années

Sources : BRI, OCDE. Calculs de l’auteur. Indices réels. Période : 1965-2012.

 
Graphique 1 - Évolution des prix de l’immobilier en France, aux États-Unis et en Norvège (1890-2010)
 
 
 
Une version détaillée de cet article sortira dans l’ouvrage L’économie mondiale 2014 (Collection Repères, Éditions La Découverte) qui sera présenté lors de la conférence annuelle du CEPII organisée le 11 septembre [programme et inscriptions].


[1]  Il faut en effet mettre en garde contre une comparaison hâtive des chiffres de hausse et de baisse et rappeler que lorsque les prix ont monté de 100%, une baisse de 50% les ramène à leur niveau initial.

[2] Les séries historiques sur les prix immobiliers sont rares. Elles existent pour la France, les États-Unis, les Pays-Bas et la Norvège.

Politique économique 
< Retour