Le blog du CEPII

La crise de la dette en zone euro est-elle terminée ?

Le Mécanisme Européen de Stabilité s’apprête à émettre son premier emprunt obligataire sur les marchés. Nul ne doute que ce sera un succès et qu’il sera émis à un taux d’intérêt modéré, reflétant l’amélioration très nette de la perception de la zone euro par les marchés.
Par Jean-Pierre Patat
 Billet du 16 octobre 2013


La situation a évolué depuis l’époque de crise intense. Des écarts très importants étaient alors observés entre les dettes des pays bien notés, Allemagne, Pays-Bas, France, qui détiennent plus de 50 % du capital du MES et qui empruntaient à des taux inférieurs à 2 %, et les autres pays, Espagne, Italie, Portugal, qui se finançaient à des taux pouvant atteindre 7 % (pour ne pas parler de la Grèce). Aujourd’hui, ces écarts se sont considérablement resserrés, du fait de la détente sur les taux des pays les plus exposés, mais aussi d’une certaine remontée chez les pays mieux notés qui ne jouent plus, comme c’était le cas au plus fort de la crise, le rôle de valeur refuge : c’est ainsi que la France emprunte aujourd’hui, à 10 ans, à 2,46 % (contre moins de 2 % il n’ y a pas si longtemps) et l’État italien à moins du double de ce niveau.

L’émission du MES est considérée par certains comme un test de ce que donneraient des émissions d’eurobonds, ce rêve éveillé de plusieurs responsables européens. À mon sens, cela n’a rien à voir. Les taux des eurobonds prendraient véritablement en compte les risques attachés à tel ou tel pays, non seulement les plus « fragiles », mais aussi les mieux notés, désormais co-solidaires des autres et qui en souffriraient certainement, de sorte que le taux d’émission d’eurobonds, loin d’être la moyenne (pondérée ou pas) des taux des pays impliqués, risquerait fort d’être plus proche des taux les plus élevés que des taux les plus bas. Avec le MES, on est dans l’émission d’emprunt par un organisme spécifique, qui peut être considéré comme une amorce de Trésor européen, et non comme la coagulation de dettes plus ou moins bien considérées.

Pour revenir aux taux en vigueur, leur très net resserrement est-il le signe que la crise de la dette est terminée ? Ils me semblent en tout cas mieux en phase avec le ressenti objectif de la situation de tel ou tel pays. S’agissant de la dette, il y a deux manières de la considérer. D’abord en se référant au pourcentage du PIB (c’est d’ailleurs pratiquement l’unique information qui est diffusée par la presse). Dans un contexte où plusieurs pays connaissent une croissance extrêmement faible, voire un recul du PIB, ces pourcentages continuent à monter nettement dans plusieurs pays : plus de 2 points en France, entre 2012 et 2013, 4 points en Italie. L’examen des chiffres réels de la dette, en milliards d’euros, montre des situations moins défavorables. En France, la dette publique augmentera de moins de 1 % en 2013, et en Italie de 2 %. Les deux approches sont évidemment nécessaires, l’approche en milliards reflétant les efforts, partout évidents et non dénués d’efficacité, faits pour ralentir puis inverser une tendance, la seconde montrant la « soutenabilité » de cette dette au regard de la richesse nationale, reflet de la capacité fiscale « normale ».

Pour revenir à la question du titre de cette chronique, peut-on considérer la crise de la dette en zone euro comme terminée ? On le sait, pour un banquier central, il faut toujours s’attendre au pire. Au risque de faillir à cette devise, je donnerai une réponse sinon positive (n'exagérons rien !!), du moins pas négative. Ce qui est sûr, à mon sens, c’est que ce qui s’est produit il n’y a pas si longtemps ne se reproduira pas : craintes systémiques sur des États, entretenues par les actions des fonds spéculatifs, et cela en l’absence de mécanismes correcteurs et de solidarité. Nul ne doute aujourd’hui que l’Italie, l’Espagne, le Portugal, ne soient des pays solvables. On aurait pu avoir le même sentiment il y a deux ans, mais quand les marchés sont pris de paranoïa… Aujourd’hui, les écarts de taux ne paraissent pas aberrants. Il est normal que l’Italie emprunte à des taux plus élevés que l’Allemagne ou même que la France, non pas à cause d’un risque de défaut, inexistant, mais parce que leur plus grande instabilité sur les marchés accroît les risques de pertes, plus ou moins prolongées, sur le capital investi. Dans un contexte, non pas de crise, mais d’inquiétude sur tel ou tel évènement pouvant perturber les marchés (et qui peuvent être totalement étrangers à la zone euro), des investisseurs, soucieux de la valeur en bourse de leur portefeuille, des Sicav par exemple, réagiront davantage sur des titres de dette italienne ou espagnole que sur des titres allemands, au risque d’ailleurs de contribuer à cette baisse des cours qu’ils appréhendent. Ce sont ces types d’aléas qui, à mon sens, risquent encore de se reproduire (cela aurait pu être le cas si le gouvernement italien avait été mis en minorité), et qui n’ont rien à voir avec une crise de la dette.

Le resserrement des écarts de taux observés est d’autant plus remarquable qu’à la différence de ce qui se passait il y a quelque temps, la BCE ne rachète pas un euro d’obligation d’États. Certains y verront l’effet des fortes paroles de Mario Draghi il y a plus d’un an. Ceux qui iront davantage au fond des choses savent que la BCE ne peut racheter de titres de dette que si le MES l’a fait préalablement. Un MES qui, en dépit des critiques dont il fait l’objet (insuffisance de moyens, organisme non démocratique dont les actions ne sont pas soumises aux parlements), est un élément incontestable et, on l’espère, pérenne, de nature à éloigner les risques de crise. 
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