Le blog du CEPII

AAA

Retranscription écrite de l'émission du 19 janvier "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38.
Par Agnès Bénassy-Quéré
 Audio du 20 janvier 2012




Ce qui devait arriver est arrivé. La France a perdu son précieux AAA. Avec l’Autriche, elle quitte le club restreint des premiers de la classe. A vrai dire, ce club devient de plus en plus select : plus que quatorze pays dans le monde. Avec du très haut de gamme : le Canada, la Norvège, la Suisse, bien sûr l’Allemagne, mais aussi le Luxembourg, Singapour ou bien le Liechtenstein. La surprise, c’est que le Royaume-Uni en fasse encore partie. Voyez plutôt : un taux d’endettement presque identique à la France, un déficit public très supérieur, une croissance nettement plus faible. Alors quoi ? Favoritisme envers la city ?

La différence entre le Royaume-Uni et la France, ce n’est pas seulement la langue ou la manière de cuire le bœuf. C’est le statut de la monnaie : nos amis britanniques ont une livre Sterling bien à eux, tandis que nous sommes seulement co-propriétaires de l’euro. Comme dans toutes les co-propriétés, les décisions ne dépendent pas que de nous. Pire, nous avons délégué la gestion de l’euro à un syndic indépendant – la Banque centrale européenne. Nous pourrons faire des assemblées générales toutes les semaines, la BCE n’en fera qu’à sa tête. L’agence Standard & Poor’s le sait et c’est pourquoi la France est moins bien notée que le Royaume-Uni.

Alors, la situation est-elle désespérée ? Du côté des agences, il n’y a rien de bon à attendre. Lisez le communiqué de Standard & Poor’s et vous comprendrez. La dégradation de neuf pays européens est liée principalement aux mauvaises perspectives de croissance et à la hausse des taux d’intérêt payés par les Etats. Mais si la croissance faiblit, c’est à cause des plans d’ajustement budgétaire. Rien de durable, donc. Quant aux taux d’intérêt, ils dépendent justement des notes attribuées. On attendrait des agences de notation une vision à long terme, au-delà des aléas de la conjoncture. Or l’Italie, qui vient d’adopter des mesures budgétaires courageuses et qui se lance à présent dans de vastes réformes structurelles, a été dégradée de deux crans. L’Italie de Monti serait-elle pire que celle de Berlusconi ? Ce pays est-il vraiment aussi risqué que la Colombie et le Kazakhstan, notés comme lui BBB+ ? C’est à décourager les réformistes les plus audacieux.

Du côté de la BCE, c’est mieux. Il faut comprendre que le rêve le plus cher de la BCE (sans jeu de mot) est que l’euro s’en sorte. Il en va de la survie de l’institution elle-même. Quoiqu’on en dise, la BCE aide déjà beaucoup les Etats : elle a acheté pour plus de 200 milliards d’euros de dettes publiques ; et prêté largement aux banques pour que celles-ci continuent à prêter aux Etats. Ce qui manque, c’est un engagement de la BCE à intervenir de manière illimitée si nécessaire, seul moyen de contenir les taux d’intérêt, quels que soient les signaux envoyés par les agences de notation. Si elle ne le fait pas, ce n’est pas seulement par peur de l’inflation ; mais parce que les Etats ne sont pas ouvertement solidaires les uns des autres : intervenir sans limite, c’est de facto déplafonner l’engagement du contribuable allemand. C’est donc à lui qu’il faut proposer un pacte : plus de discipline contre plus de solidarité et un euro préservé. Et lui présenter le coût complet de chaque option : intégration ou éclatement. La BCE le soutiendra, mais seulement dans le premier choix.
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