CEPII, Recherche et Expertise sur l'economie mondiale
Politique monétaire : nouveaux territoires, nouveaux horizons


Michel Aglietta

Dans les dix années qui ont mené des crises asiatique et russe à la crise financière globale, la finance des pays développés a été prise d’une frénésie d’expansion face à laquelle la politique monétaire est restée muette ; elle n’a donné aucun repère, n’a pas réagi à l’accumulation des déséquilibres, n’a posé aucune barrière à l’orgie de crédit.
Il ne s’agit pas là d’erreurs de politique monétaire. Car la politique a été excellente relativement aux objectifs qui étaient assignés aux banques centrales. L’inflation a été basse et stable de 2000 à 2008 et la croissance a repris dès 2003 après la récession qui a fait suite au krach boursier de 2001. D’ailleurs, les ­gouvernements et les banques centrales se vantaient de la « grande modération » qui s’était établie. Les économistes dits orthodoxes ont mis cette « performance » au crédit de la libéralisation financière, c’est-à-dire de la déréglementation et de la globalisation.
Il y a donc eu un naufrage intellectuel de la doctrine monétaire en vigueur depuis les années 1980 et codifiée par le ciblage de l’inflation dans les années 1990. Rappelons-en le principe : un objectif : la norme d’inflation ; un instrument : le taux d’intérêt directeur des banques centrales, suffisent à établir la stabilité macroéconomique. Le support théorique de cette affirmation se trouve dans la conjonction de l’hypothèse de neutralité de la monnaie et de l’efficience de la finance. Lorsque la norme d’inflation est atteinte, elle ancre les anticipations des agents économiques. La stabilité de l’inflation garantit la neutralité de la monnaie. La finance, devenue efficiente grâce à la libéralisation financière, réalise l’allocation optimale des ressources. La croissance atteint son potentiel et l’emploi son optimum représenté par le taux de chômage « naturel ». L’économie ne peut être perturbée que par des chocs « réels » exogènes qui sont résorbés par un ajustement guidé par la règle dite de Taylor qui est le modus operandi du ciblage flexible de l’inflation.
Cette doctrine monétaire a été anéantie par les faits. La BRI [Borio, 2012] a identifié les dogmes qui la supportent et qui ont été réfutés par la crise :
la stabilité des prix est une condition suffisante de la stabilité macroéconomique ;
la stabilité des prix est séparable de la stabilité financière, donc la politique monétaire ne doit avoir aucune part dans cette dernière ;
le taux court piloté par la Banque centrale est l’instrument pertinent unique de la politique monétaire ;
les banques centrales n’ont à s’occuper que de l’économie domestique. Les taux de change flexibles guidés par les écarts de taux d’intérêt rendent le monde entier stable.
Lorsque la crise a éclaté, les banques centrales ont dû faire face à leur responsabilité vis-à-vis du système financier dans la précipitation et dans l’invention de politiques « non conventionnelles ». Elles se sont aperçues que la crise de la finance allait avoir un impact lourd et durable sur les économies. Elles ont dû s’installer dans ces politiques hors norme. C’est pourquoi le débat est né et a pris de l’ampleur sur la façon d’en sortir (l’exit) et sur l’« après ». Car la doctrine monétaire doit être reconstruite sur les ruines des quatre dogmes mis en évidence par la BRI. 
Ce débat va nous guider. Dans une première partie, il s’agit d’analyser les interactions de la finance et de la macroéconomie qui ont conduit à la crise. Dans une deuxième partie, il faut comprendre pourquoi le taux d’intérêt monétaire a pu tomber à 0 et s’y maintenir si longtemps. Enfin, dans une troisième partie, on entrera dans le débat sur les stratégies de sortie et sur les défis de la politique monétaire d’après crise.
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 L'économie mondiale 2014
La Découverte, Paris, 2013
pp.43-61

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